Histoire vécue.

27/11/21

Soutien aux protestations antillaises… ?

Quoi de plus ennuyeux que de recevoir une nuée de messages qui nous entretiennent de quelques délires soporifiques ou d’obsessions redondantes ! Voici quelques mois que je suis inscrit sur une liste locale de contestataires de l’ordre « sanitaire » (disons-le ainsi bien que le qualificatif « sanitaire » ne me semble pas approprié). Ce soir-là, le vendredi 26 novembre, en regardant les messages de cette liste de diffusion je tombe sur l’un d’entre eux qui, au premier abord, me réjouit. C’est un appel vibrant à soutien au peuple antillais en révolte ouverte et déterminée : un rassemblement, date indiquée : le lendemain, samedi 27. Je me dis que, si les languedociens – c’est à dire : « nous » – ne sommes pas capables d’entrer en résistance à l’instar de ces vaillants antillais, au moins serons-nous capables de les soutenir ! Une faible consolation. Et comme la manifestation (statique) est prévue pour le lendemain je m’empresse de lire le communiqué qui y appelle. Je m’y reprends à deux fois car j’ai du mal à croire ce qui est écrit. Et après la deuxième lecture, c’est l’effondrement.

 

Non, je ne rêve pas, j’ai beau chercher derrière chaque point et chaque virgule du texte, la réalité est là : il n’est fait dans tout ce communiqué aucune mention d’un combat contre la vaccination généralisée ni contre le passeport sanitaire ! Pas une trace de cette lutte. Juste une mention au passage disant : « Nous apportons notre soutien à la population toute entière qui, au-delà de la situation liée à la vaccination, ne croit plus en la parole publique. » Au-delà de la situation liée à la vaccination… ! Qu’est-ce à dire ? On enjambe donc toute la force de contestation de ce mouvement pour n’en retenir que ce qui entre dans un cadre idéologique : on y évoque la pauvreté, le chômage, le manque d’eau potable, etc. mais il n’est à aucun moment question de ce qui se voit comme le nez au milieu de la figure, les antillais se battent pour refuser la vaccination et le passeport sanitaire. En me grattant la tête, il m’apparaît que j’ai beau être accoutumé à ce genre de perversion qui consiste à déformer le réel pour le présenter sous une forme …convenable, à chaque fois que j’y suis confronté, je me sens vraiment mal à l’aise. Comment est-ce possible ?

 

Ce n’est qu’après avoir jeté un œil au bas de la déclaration sur les organisations qui appelaient qu’une part du mystère se lève : Parti Communiste Français (PCF), Parti Ouvrier Indépendant (POI), Insoumis (LFI), Ensemble, EELV, etc. La réunion ayant été appelée par un CLRR Béziers, organisation qui, à l’initiative du POI trotskiste, agrège un certain nombre de gens pleins de bonnes intentions et désireux d’agir. J’avais eu l’occasion d’aller il y a quelques mois dans une de leurs réunions et constaté de quoi il retournait. Dans quelques articles j’ai émis des doutes sur l’attitude de ces ‘militants’, manquant singulièrement de discernement. Ils s’impliquent dans une démarche initiée par un parti dont l’idéologie léniniste considère les organisations de ce type comme des ‘courroies de transmission’ devant amener tôt ou tard les militants vers le parti lui-même, et/ou comme un paravent pour incruster discrètement leur programme dans l’esprit du public. D’après le texte qui ne faisait pas référence à la lutte réelle des antillais contre la vaccination et le passe, il devenait clair que cette réunion publique … « unitaire » ( c’est l’adjectif le plus prisé de la prose trotskiste ! Le vocabulaire, ici, dévoile sans équivoque l’origine de l’initiative…) avait simplement pour but d’agglutiner ( unitairement ) les mêmes que d’habitude dans le but d’afficher une force et de rassembler quelques nouvelles recrues sous leurs bannières. Autant dire que j’étais déçu, c’est peu de le dire.

Ayant pris l’initiative de répondre au message par un texte pour faire remarquer l’étrangeté de cet appel aux membres de la liste, j’indiquais bien que les syndicalistes antillais ( …même les syndicalistes, devrais-je dire !) tenaient des propos pourtant très clairs sur leurs revendications. Dans une vidéo j’avais entendu un pompier porte parole et syndicaliste de Guadeloupe déclarer : « Nous ne sommes pas des imbéciles, pas des idiots, on sait bien ce qu’on veut : non à l’obligation vaccinale, non au passe sanitaire. » ( il se nommait Jocelyn ZOU ) Un propos sans équivoque indiquant clairement que le texte de l’appel était mystificateur. Au moins par omission. Après avoir publié cette réponse, le sentiment du devoir accompli ne me satisfaisant pas, je réfléchis à l’attitude à tenir. Aller ou ne pas aller, là était la question. Ce genre de rassemblement n’a rien d’une partie de plaisir. Et ce fait pesait lourd dans la balance. Malgré tout la curiosité croissait et l’idée s’imposa d’aller y voir… n’ayant rien de particulier à faire à ce moment-là.

En sortant de ma voiture, arrivé à Béziers, je me demandais ce que j’allais trouver. Seraient-ils nombreux ces joyeux drilles ? Seront-ils les habituels militants ou des gens poussés par le réel désir de soutenir les antillais ? Et la prise de parole, allais-je entendre une suite de discours tous identiques sur le fond comme souvent ? Ou bien y aurait-il des voix discordantes ? Mon expérience assez longue de ce genre d’exercices me faisait craindre. Cela dépendrait bien sûr des organisations réellement présentes… L’objet d’un rassemblement étant de rassembler – vérité de la palisse ! – tout ce qui dissocie les positions se doit d’être estompé. Et l’on entend guère que des choses convenues.

À peine arrivé sur le site je plonge dans le vif du sujet. Je vois au loin un attroupement que j’évaluerai par la suite à soixante-dix personnes. Une foule de drapeaux rouges du PCF et de la CGT. En entrant dans le rassemblement, j’assiste en passant à un échange assez vif entre un quidam inconnu de moi et une tête qui m’aurait été probablement connue si elle n’avait été harnachée d’un masque de protection blanc (très en vogue par les temps qui courent et que revêtent certains, même en extérieur… On n’est jamais assez prudent !). Le masqué hissait un drapeau avec l’indication PCF. Marteau et faucille en sus. Et l’inconnu, qui semblait lui avoir adressé la parole, recevait une cinglante réponse : « Nous sommes pour la vaccination générale et pour le passe sanitaire », lui dit en martelant chaque mot le porte drapeau. L’autre parut sidéré par la réponse et lança, désespéré : « Mais c’est dingue ! ». Quand je passai près de lui – j’avais pourtant pensé rester discret mais je ne pus me retenir, je surenchéris : «  Sûrement, c’est dingue ! » Sur ce, le fringant militant stalinien renfrogné et sûr de lui me lança : « Et vous venez devant moi sans masque ! » sur un ton de reproche. N’ayant pas envie de faire durer une controverse avec l’individu, je me contentais de lui dire sèchement qu’il était aussi contaminant que moi malgré les injections qu’il avait subies. Et j’ajoutais : « Renseignez-vous ! » Puis je me suis éloigné après avoir remarqué que l’inconnu, dégoûté et même dérouté par ce que le militant lui avait déclaré, s’éloignait, quittant la manifestation. Il est très probable, pensai-je à ce moment-là, que celui-ci avait cru rencontrer des gens hostiles à la vaccination générale et, de ce fait, c’est dépité qu’il décida de partir.

Je me retrouvais alors dans une foule assez éparpillée où je reconnaissais pas mal de visages dont ceux de quelques bonnes connaissances, Gilets Jaunes notamment mais aussi opposants au passeport sanitaire. À peine arrivé, le premier orateur prit le micro. C’était un monsieur à la voix puissante et décidée que je connais assez bien. De ceux qui fréquentent le CLRR sans être membre du POI. Il lut le texte de l’appel que j’avais commenté mais, à ceci près quand même, qu’il faisait explicitement référence à la lutte contre la vaccination générale et le passeport sanitaire. Sans trop s’appesantir tout de même. Ce fut une première satisfaction.

Le deuxième à prendre la parole après lui fut – à tout seigneur, tout honneur ! – le délégué du Parti ( …Communiste, s’entend ! ). Un monsieur d’une quarantaine d’années dans un manteau gris les mains dans les poches prit hardiment le micro et improvisa un discours assez long et monocorde qui passait en revue tous les thèmes de gauche. Il semblait sûr de lui, immobile dans sa posture dénonciatrice et énonciatrice des dogmes du parti. Pour eux, les choses sont, comme toujours, simples : … vaccination, pas un mot ! … passe sanitaire, connais pas non plus ! Tout ça n’est que langue de fachos. Il parle de la pauvreté, de la vie chère et surtout du colonialisme français qu’il croyait disparu, dit-il, utilisant la formule dans un but rhétorique bien sûr, mais qu’il voyait toujours renaissant, etc. le tout dans le plus grand calme et l’assurance de dire enfin la vérité que tout le monde attendait. Il n’oublia pas le chlordécone qui revint dans tous les discours. Il obtint les applaudissements de la foule. De ses camarades du PCF, s’entend.

La CGT vint ensuite dire la même chose mais en demandant la réinsertion des soignantes évincées. Tout de même. Surprise : le POI, en tant que tel, n’intervint pas. LFI ensuite redit encore la même chose mais fit un clin d’œil à la vaccination et au passe sanitaire pour les dénoncer mollement – la militante qui prit la parole étant infirmière, c’était la moindre des choses ; je l’avais rencontrée et nous avions conversé dans une des grosses manifestations de l’été à Montpellier – mais ces thèmes étaient mis à coté des problèmes de l’hôpital. Qui ne se portait pas bien. C’est peu de le dire. Elle eut bien du mal à prononcer le mot ‘chlordécone’ ayant manifestement découvert la chose très récemment.

Monta ensuite au parloir une dame grande et maigrelette que je ne connaissais pas et qui se présenta comme ‘citoyenne’. Elle insista sur la vaccination et le passe en parlant avec conviction et clamant son opposition à l’un comme à l’autre ; en quelques mots elle dénonça tout ce qu’il fallait dénoncer. Enfin la déléguée d’Ensemble, médecin à la retraite, en dit assez long sur la vaccination et ses dangers entrant dans quelques considérations médicales et quelques détails des mesures gouvernementales.

Ceux qui, comme elle, dénoncèrent la vaccination et le passe furent applaudis …sauf, évidemment, par le PCF ( … et la CGT ? ). Il faut dire que le PCF et la CGT s’étaient déjà auto-applaudis.

Au total, mis à part le PCF qui, à la manière stalinienne, évacua le sujet de la vaccination obligatoire des soignants et du passe sanitaire, les autres en parlèrent plus ou moins. Les choses commençaient à se clarifier. Quand on connaît ce milieu on peut deviner sans peine ce qui s’est passé dans la préparation du rassemblement. Quelques militants du CLRR à l’initiative – poussés ou non par les éminences grises du POI, les deux sont possibles – ont voulu ce rassemblement « unitaire » et, pour faire du poids, ont invité les partis et organisations (de gauche, cela va sans dire ! Les autres ne pouvant guère être admises ici) à y participer. Le PCF, bon prince, mais très hostile à tout ce qui est hostile (sic) à la vaccination de près ou de loin ( des fachos, …grrr ! ), fit très probablement obstacle à l’évocation de ces problèmes sur le document commun de l’appel. Et ça a donné ce document incompréhensible qui appelait au rassemblement et que j’avais lu la veille. Toutes ces organisations et partis ont tout de même signé ce document vide mais « unitaire » duquel on avait ôté la substantifique moelle. Aujourd’hui comme la première fois, quand je le lis j’ai l’impression que ce qui saute aux yeux, c’est le trou dans lequel ont disparu les vrais problèmes et qui se voit bien plus que tout ce dont on a rempli le communiqué pour prendre la place de cet essentiel manquant.

Finalement, le rassemblement touchait à sa fin ; les personnes présentes se débandèrent immédiatement après la fin des monologues ; peut-être avaient-ils l’estomac dans les chaussettes car il était midi et demi, et, après tout, avaient-ils autre chose à faire là que d’afficher chacune de leurs inébranlables convictions ? Et de se faire voir. Le spectacle était terminé, au revoir, messieurs-dames.

Nous ne sommes plus au temps où les staliniens étaient les seuls à parler mais le temps n’est pas encore venu de débattre publiquement. C’est déjà beaucoup que chacun ait pu dire ce qu’il avait à dire. Aujourd’hui, le PCF participe à des réunions publiques avec des trotskistes. Quel progrès, n’est-ce pas ? Et même avec quelques ‘citoyennes’ qui mirent sur le tapis des positions contre la vaccination générale et le passeport sanitaire – voyez combien ils deviennent tolérants !

Les staliniens dans leur plus pure tradition militante enroulèrent leurs drapeaux du PCF ou de la CGT et s’entre-congratulèrent pour leur prestation ; ils constituaient le groupe le plus fort, d’une vingtaine de personnes faisant masse ; et surtout les plus voyants car la plupart portaient l’étendard rouge vif du parti. Finalement, tout le monde (ou presque) était content. Le jour suivant, une petite manif d’une centaine de personnes arpenta les rues de Béziers. Clairement cette fois contre les mesures sanitaires et …il y eut quelques hommages aux antillais.

*

On peut se demander ce que l’on cherche dans ce genre de manifestations.

Je me souviens de ces deux demoiselles d’une quinzaine d’années assises tout près de nous sur les marches ensoleillées de la sous préfecture, comme elles devaient probablement le faire quotidiennement. Déglutissant une substance probablement comestible elles devaient être très rebelles puisqu’elles étaient vêtues de jeans troués. À quelques mètres des orateurs elles ne pouvaient pas ne pas les entendre. Et pourtant l’œil fixé à l’infini elles semblaient ne rien percevoir.

De l’autre coté de la rue des gens attendaient le prochain bus. De temps à autre, ils regardaient de notre coté sans prêter la moindre attention. Et des passants nous jetaient un œil bovin …en passant justement ! Comme si nous faisions partie d’un très banal paysage urbain.

À y réfléchir un peu la seule personne qui m’avait semblé avoir fait la démarche de venir à un rassemblement de soutien en dehors des habituels participants qui faisaient leur bonne action militante, c’était ce monsieur décrit au tout début du texte qui s’écria : c’est dingue ! en réponse aux déclarations vaccinophiles du militant ? Et cette personne n’a fait que passer. Aussitôt arrivé aussitôt rejeté aussitôt parti.

Qu’est-ce qui anime donc les organisateurs et les participants ? La réponse la plus probable, c’est sans doute qu’ils y assurent …le spectacle. Acteurs enfin ! Toutefois s’ils sont les acteurs il manque un élément essentiel à cette exhibition : les spectateurs ! Sauf à considérer qu’ils sont eux-mêmes …aussi les spectateurs. Bien sûr.