Glossaire de quelques idées transmises dans le vocabulaire utilisé par les médias, politiciens et autres manipulateurs manipulés.
Et ce qui s’ensuit.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
A. Camus
Afin que les mots du débat ne nous contraignent pas à adopter les idées qu’ils charrient et dont nous ne voulons pas, contre lesquelles nous nous battons.
Les articles qui suivent sont datés. Nous serons amenés à ajouter et/ou à modifier des éléments en fonction de l’évolution de l’actualité. La date des modifications sera toujours indiquée
1) Islamophobie Islamophobe (17/11/2020)
« le terme d’« islamophobie » pose […], dans la situation contemporaine, un […] problème. C’est qu’il fait de l’islam et des musulmans un bloc. Ce bloc, on aurait, ou non, le droit de le critiquer. » Laurent Zimmermann _ Le Monde.
Le problème tient à toutes les religions. Le croyant adhère à sa religion (étymologiquement : qui relie les croyants entre eux mais aussi les croyants aux divinités, au sacré) Il est donc assez normal que la critique d’une religion emmène les religieux à se sentir atteints personnellement. …
Insérer la religion dans l’intériorité individuelle n’est pas aujourd’hui chose facile. Cela nécessite avant tout de considérer la religion comme un objet extérieur auquel on adhère. Individuellement. Or, de toute évidence, mis à part les religions chrétiennes qui ont évolué avec les sociétés où elles furent les religions d’État, mais ne le sont plus, les autres ne semblent pas prêtes à accepter ce statut d’acquis individuels. On peut se poser la question de certaines sectes protestantes qui ne furent jamais religion d’État et même ont été longtemps persécutées.
La question est ainsi abordée sur le plan conceptuel. Sur le plan pratique, il faut considérer les réactions des uns et des autres aux critiques que l’on fait de telle ou telle religion particulière.
Nombre de dessins de Charlie hebdo ont moqué le clergé catholique ou les dogmes de cette religion. Et on a vu des réactions de la part du clergé. De nombreuses plaintes ont été portées contre le journal pour atteinte aux croyants (catholiques) ou aux croyances. Ces plaintes en France sont systématiquement déboutées car le blasphème n’existe plus en droit français. La Révolution l’a aboli. Plus possible d’exécuter atrocement des gens pour fait de blasphème comme il fut fait avec le Chevalier de la Barre et bien d’autres par les autorités très catholiques. Et plus de censure non plus contre les impies. Après la Restauration qui l’avait rétabli et l’avènement de la III° république, de nouveau, exit le blasphème. Définitivement, espérons-le.
Par contre, les atteintes à l’islam en réponse à de bien réelles attaques contre cette religion ont eu un tout autre impact. En France, ont eu lieu nombre d’atrocités. Massacre des journalistes de Charlie hebdo, mais pas seulement, la dernière en date fut le meurtre du professeur à la sortie de son collège.
L’islamophobie est bien sûr beaucoup moins supportée par les musulmans que la christianophobie (du reste, personne n’utilise ce mot) par les chrétiens. Arrêtons-nous sur le mot islamophobie maintenant. D’après l’étymologie, le terme islamophobe est composé du suffixe –phobe qui signifie : avoir une peur irraisonnée, un effroi, fuir dans la panique. (1) Est islamophobe celui qui a peur de l’islam. Et, de fait, certaines personnes craignent beaucoup ces terroristes criant « Allah ou akbar ». Ce que relèveront d’autres disant que voilà bien l’islamophobie ! car craindre l’islam revient là à craindre les musulmans. Tous les musulmans ? D’où le problème. Car de la crainte certains passent à la dénonciation, la stigmatisation,… sans parler de ceux qui diront que l’islamophobie, ce n’est pas la peur mais la « haine » des musulmans. C’est un sens que certains, surtout à gauche, attribuent volontiers à ce terme. On voit qu’avec ce mot on a une kyrielle de sens vraiment différents. Rien de mieux pour créer la confusion, diraient certains. Sauf que parfois, c’est une confusion voulue. Par exemple, quand Henri Pena Ruiz, dans une conférence, dit : « on a le droit de critiquer les religions donc …on a le droit d’être islamophobe. » les choses sont très claires car il parle ici d’islamophobie comme détestation de la religion islamique. ( Un autre dirait : « on a le droit d’être anti républicain ! » ) Sauf qu’un individu, présent à la conférence de ce philosophe à ce moment-là, diffusera la nouvelle sous la forme simple de : il a été dit que « on a le droit d’être islamophobe ! » sans autre précision. Ce qui pour certains musulmans devient carrément blasphématoire – c’est à dire insulte à la religion – ou raciste, si l’on admet qu’il s’agit de haine vis à vis des musulmans eux-mêmes – on en passe souvent à ce stade bien que les musulmans ne sont pas du tout une …race (autre abus de langage). Beaucoup en fait évitent de tenir des propos équivalents à ceux de Pena Ruiz car terrorisés à l’idée des conséquences que cela pourrait avoir. Les attentats subis sont dans toutes les têtes. Et finalement, souvent, le terrorisme aboutit à l’auto censure. C’est bien sûr un des buts recherchés par les terroristes !
Les ambiguïtés du mot peuvent donc être exploitées par les esprits malveillants (…ou parfois simplement insouciants).
Certains avancent aussi que, à l’inverse, certains sont amenés à critiquer les musulmans dans leurs comportements, leur manière d’être et invoquent la critique de la religion alors qu’il s’agit plutôt de racisme et veulent masquer ainsi leurs accusations racistes.
Dans tous les cas, la limite entre l’islamophobie en tant que critique de la religion et l’islamophobie comme critique des musulmans est difficile à établir, raison pour laquelle Salman Rushdie dira : « Un nouveau mot a été inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugles : l’islamophobie. » Le passage de phobie comme peur à la phobie comme haine et de l’islam comme religion à l’islam comme communauté des musulmans est vite fait et certains ne se privent pas de le faire.
Bien évidemment on ne peut espérer que les islamistes (même ce mot paraît indécent à Ségolène Royal car il contient le mot islam et peut faire penser de loin en loin à une accusation de tous les musulmans) distinguent consciencieusement les musulmans ordinaires d’eux-mêmes. Leur fond de commerce est – précisément ! – de se fondre dans la masse des musulmans ordinaires. De faire corps avec ceux-ci de sorte que chaque accusation à l’encontre des islamistes soit comprise comme étant adressée aux musulmans dans leur ensemble.
Le sentiment à cet égard de F. Boudjahlat est le suivant : « Tant que les musulmans considéreront que le pratiquant le plus extrémiste est le musulman le plus pieux, il n’y aura pas d’évolution » et d’ajouter : « non, je ne pense pas que la majorité des musulmans condamne cet acte [le meurtre de S. Paty]. Je pense qu’ils s’en veulent, à eux mêmes, de ne pas avoir le courage de défendre le prophète et leur religion jusqu’à ce point [le terrorisme]. » On est très loin des discours lénifiants sur l’éducation qui va résoudre les problèmes. Cela fait écho aux propos de Montesquieu écrivant dans l’Esprit des Lois, que « la religion mahométane, qui ne parle que de glaive, agit encore sur les hommes avec cet esprit destructeur qui l’a fondée ». Au cœur de la critique du terrorisme, il y a les musulmans eux-mêmes. Non, bien sûr, ça ne signifie pas que la majorité de ceux-ci s’adonne au terrorisme ou même s’accorde avec celui-ci mais la tendance n’est pas à la dénonciation de celui-ci. Au contraire même, selon Fatiha Boudjahlat. Et selon les sondages les plus récents.
Revenons à l’islamophobie si tant est qu’on l’avait quittée. Ce n’est pas uniquement en France ni seulement par des attentats que les croyants musulmans se manifestent dès qu’ils estiment qu’on porte atteinte à leur sentiment religieux. Dans tous les pays musulmans, les infidèles doivent être très attentifs à ne pas interférer avec les musulmans car ils sont considérés comme des dhimmis, un statut inférieur aux hommes complètement humains que sont les musulmans. Et s’ils sont nés dans la religion musulmane ils peuvent être condamnés à mort en cas d’apostasie ( renoncement à la religion musulmane), l’idée étant que tous les musulmans doivent être soudés et que personne ne peut se désolidariser du groupe. La pakistanaise chrétienne Asia Bibi en a fait l’expérience qui fut accusée de prendre de l’eau d’un puits réservé aux musulmans. Pour cela, elle fut condamnée à mort. Et tout le monde a le souvenir de ces foules en colère réclamant sa mort.
Plus anecdotique, les manifestants en grande colère foulant au pied les drapeaux français et y mettant le feu parce que le président avait osé dire que « nous » (…des infidèles !) continuerions en France à publier des caricatures.
Par ailleurs, Waleed Al Husseini a passé un an dans les geôles de la soi disant laïque Autorité Palestinienne à cause de ses positions reniant l’islam. Il a fui son pays dès sa libération. Tous les apostats n’ont pas eu cette chance.
Ces réactions montrent que certains croyants musulmans se sentent personnellement concernés par toute mise en cause de la religion ou ce qu’ils croient en être une. Il y a un effet de masse que l’on retrouve rarement dans une autre religion. Ni les chrétiens (d’aujourd’hui) ni les bouddhistes (dont on a détruit les Bouddhas de Bamiang en Afghanistan). Si bien que certains ont utilisé le terme de fanatisme – celui-là même que Voltaire avait utilisé en son temps – pour qualifier l’Islam. Sans doute faut-il remarquer avec Ferghane Azihari que « leur agressivité envers de simples caricaturistes contraste avec leur silence assourdissant sur le génocide des Ouïgours [ minorité musulmane de Chine] que la dictature chinoise est en train de perpétrer. Cette hypocrisie montre que la prétendue liberté de croyance dont se prévalent ces pays [musulmans] n’est qu’un alibi pour justifier la guerre de civilisation qu’ils mènent contre une Europe qui, à l’inverse de l’Empire du Milieu [la Chine], apparaît comme une proie facile. » On choisit l’ennemi le plus à même d’être vaincu. L’Europe – tant sa naïveté est grande – leur semble une proie facile. C’est ce que reconnaissent beaucoup d’analystes lucides.
Si bien sûr il existe beaucoup de musulmans pour lesquels la foi et la politique sont séparées, conscients qu’il existe un savoir et une raison distincts du Coran, il faut reconnaître qu’il en existe aussi beaucoup – en tous cas une minorité particulièrement intolérante et prédatrice – pour lesquels ce n’est absolument pas le cas [ nous ne parlons pas ici des terroristes qui sont, eux, ultra minoritaires ]. Et pour qui le Coran doit être en tous points la règle de vie des Croyants. En ce qui concerne le statut des infidèles, pour ceux-là, si les musulmans sont en position de force, c’est la soumission ou la conversion. « « Lorsque vous rencontrez les incrédules, frappez-les à la nuque jusqu’à ce que vous les ayez abattus […] » Il en est quelques uns qui prennent ces versets au pied de la lettre, on peut donc légitimement avoir des craintes.
Conclusion : Le mot « islamophobie » est utilisé dans des sens très différents. Cela fait partie de ces mots ‘valises’ dont les sens très divers cachent le plus souvent plus qu’ils ne révèlent. Pour certains, il s’agirait d’une haine de l’islam, pour d’autres de la peur de l’islam, deux sens carrément différents. Et cela entraîne des comportements et prises de position surprenantes.
Des gens bien intentionnés, comme Christophe Naudin par exemple (3), qui fut lui-même victime au Bataclan, l’utilisent sans grande précaution. Pour sa cartographie politique positionnant les « islamophobes » d’un coté et les « islamistophiles » de l’autre, celui-ci nous dit la nécessité de nous éloigner des uns comme des autres. Quand on ne définit pas assez de tels mots on s’expose non seulement à des incapacités à comprendre les faits les plus élémentaires mais aussi le fonctionnement même des affrontements politiques de ce temps. Il lui reste sans doute à examiner pour quelles raisons ceux qui sont le plus ardemment engagés contre l’islamophobie sont pour la plupart des « islamistophiles ».
Le PCF qu’on croyait inspiré par le rejet des religions utilise lui aussi le terme islamophobie bien que pas mal de ses militants renâclent. « combattre l’islamophobie, c’est permettre la convergence des travailleurs, quelle que soit leur religion ou leur absence de religion. » déclaraient-ils en 2016. Là encore, rien à dire sur le plan théorique. Sauf qu’en pratique on voit bien (ou on ne veut pas voir) que les islamistes s’immiscent dans les organisations, partis et syndicats, qui leur tendent les bras par souci de rassembler, non pour se joindre à un combat laïque mais pour obtenir de lui une convergence avec eux. D’étonnantes « féministes » défendent le foulard et le burkini ainsi que la séparation des deux sexes dans les piscines. Certaines féministes naïves marchent avec elles. Sont-elles assez stupides pour ne pas se rendre compte de l’arnaque ? On peut se reporter aussi aux incidents qui ont agité la France Insoumise quand une section de Paris de ce parti voulut organiser une réunion publique pour débattre de l’immixtion des islamistes dans les syndicats. Ils furent tous exclus du parti sine die. Islamophobie ? vade retro, satanas !
Last but not least : On a même vu des gens visiblement terrifiés après les attentats non pas par l’horreur de ceux-ci mais parce que « ça ferait monter l’extrême droite ». Ce genre de raisonnement basé sur la détestation (non, …pas la haine, bien sûr !) de l’islamophobie apporte la cécité au réel même dans ces manifestations les plus cruelles. On peut le constater à chaque attentat, il y a toujours des gens pour dire : c’est horrible, oui mais nous, on ne fait pas mieux ! – …tout en réclamant qu’il n’y ait ‘pas d’amalgame ‘, cela va de soi ! L’insensibilité vis à vis des événements qu’ils ont sous les yeux laissent parfois pantois.
Le temps, en tous cas, ne joue pas de la même façon pour des islamistes qui ont l’éternité pour mettre en œuvre leur projet de sujétion de la planète. S’ils peuvent se faire exploser et se donner la mort pour tuer le maximum de monde autour d’eux ils peuvent dire à la suite de Mérah et tant d’autres après Khalid ibn al Walid, le conquérant et compagnon de Mohammed : « Comme vous aimez la vie nous aimons la mort ». Ça fait effectivement une « sacrée » (4) différence car la vie – la vraie, ça, nous le savons – n’est pas éternelle !
(1) Le Robert, dictionnaire étymologique.
(2) Sourate « Muhammad » XLVII ; 4.
(3) Christophe Naudin : Journal d’un rescapé du Bataclan _ Editions Libertalia.
(4) si j’ose dire, bien sûr.
2) pacifiste/pacifique : 21/01/2019
Le mot pacifiste est souvent employé à la place de pacifique. Quand certains Gilets Jaunes de Béziers disent « nous sommes pacifistes », s’agit-il bien d’une idéologie de la non-violence comme celle de Gandhi ? Ou est-ce plutôt une confusion – volontaire ou pas – entre les deux mots ? Vu l’environnement journalistique et les réflexions sommaires ayant cours dans les réseaux sociaux, il importe de mettre cela au clair et de donner un sens à cette confusion dommageable.
L’adjectif « pacifiste » implique qu’en aucune occasion on aura recours à la violence. Par principe. Alors que « pacifique » signifie que la violence n’est pas utilisée …ici et maintenant ! Pour des raisons diverses. Ça peut être par rejet méthodique et systématique – …alors on est pacifiste ! – mais aussi par simple stratégie sur le moment, parce que la violence est, dans une conjoncture donnée, inutile ou pas souhaitable. En d’autres termes, on peut être pacifique parce qu’on n’a pas besoin de la violence ou parce qu’avec la violence on sait qu’on serait balayé par des adversaires plus forts que soi. Tout en se disant, en même temps, que la violence est indispensable dans certaines circonstances. Camus disait qu’il fallait être non violent autant que possible tout en gardant à l’esprit que le renoncement par principe à la violence était (malheureusement) illusoire. Il était d’une génération qui avait vécu la guerre de 39/45 et avait expérimenté cette incapacité de la non violence à atteindre certains buts. La France aurait-elle été libérée des nazis s’il n’y avait pas eu une force plus considérable pour les affronter ? Pour prendre une comparaison plus actuelle : est-il possible de lutter contre des islamistes armés et qui entreprennent de tuer des gens, en utilisant une stratégie non-violente ? Généralement donc, est-il possible, devant une force brutale, d’avoir une pratique non-violente efficace ? Même Gandhi dira : « s’il ne reste le choix qu’entre la violence et la lâcheté, je préfère la violence. » Précisons quand même que le refus de la violence n’est pas synonyme de lâcheté bien entendu mais la lâcheté peut conduire à la non violence.
À Notre Dame des Landes, par exemple, on a assisté à des échanges entre certains idéologues d’ATTAC qui prônaient la non-violence et disaient – on en vient ici à l’essentiel – que tous ceux qui utilisaient la violence à NDDL ne pouvaient que trahir le mouvement d’occupation de la ZAD. Celui-ci étant ‘par essence’ pacifique. Ce que des occupants – en prise directe avec les événements et surtout …avec la police – ont relevé et contredit promptement. Ils revendiquaient leur violence. Sans enthousiasme bien sûr. Ne l’utilisant que par nécessité.
On pourra lire :
http://faut-le-dire.over-blog.com/pages/ZAD_Notre_Dame_des_Landes_Comment_se_faitil_que_les_zadistes_aient_attire_tant_de_sympathie_-8444743.html et/ou http://faut-le-dire.over-blog.com/pages/Testet-8996190.html
Avec les Gilets Jaunes, à l’heure qu’il est, on en revient à la même séparation arbitraire entre ceux qui sont violents et les non violents. Particulièrement en désignant les premiers comme des ‘casseurs’ venus simplement s’agréger au mouvement sans qu’on puisse dire qu’ils en faisaient partie. Il a fallu – pour que la réalité apparaisse – constater que le profil des interpellés de la première manifestation à Paris n’étaient en aucun cas celui des ‘casseurs’ que l’on supposait, de « pros » de la casse. L’évidence tombait : non, ceux qui ont affronté la police étaient bien des Gilets Jaunes qui avaient été violents ! De plus, ne s’y étant guère préparés. Exit donc le mensonge selon lequel il n’y avait dans les affrontements avec la police que des ‘casseurs’ extérieurs au mouvement. Ce qui, bien sûr, ne signifie pas qu’il n’y avait aucun casseur extérieur au mouvement. Non seulement il y en avait mais il y avait aussi probablement des flics qui poussaient à l’affrontement que le gouvernement souhaitait alors pour discréditer le mouvement et effrayer le plus de manifestants possible.
Notons tout de même que les critères de la violence instaurés par la Justice sont parfois des plus étranges. Sachant qu’un masque de tissu ou des lunettes de piscine pour se protéger des gaz lacrymogènes sont considérés comme des armes – et, s’il s’agit d’un masque à gaz, comme une arme de guerre – on peut se demander si les critères pour établir que des gens ont été violents, sont, dans ces conditions, bien pertinents. Plusieurs parmi ceux qui furent traînés devant les tribunaux ont été considérés comme fauteurs de violence pour cette seule raison : porter un masque de protection ou posséder des collyres pour soigner l’effet des lacrymos.
Certains Gilets Jaunes font aussi ce distinguo entre ‘nous’, les bons, les vrais qui sommes ‘pacifistes’ et ‘eux’ qui ne sont que des casseurs, des imposteurs. Qui ne sont pas des braves gens comme ‘nous’, bien entendu.
Quelle est donc l’origine de cette violence venant de gens qui ne s’y préparaient pas du tout ? il nous a été donné de constater que certains Gilets Jaunes sont devenus violents du fait de leur incapacité à cerner ce qu’ils voulaient. Ils ne trouvaient ainsi que la violence pour exprimer une insatisfaction indicible autrement. Ce constat, n’importe lequel des Gilets Jaunes présents dans les ronds points pouvait le faire mais certains préféraient ne pas voir. Trop heureux de pouvoir se prévaloir du camp du Bien… et de la non-violence.
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» je m’adresse aujourd’hui à toute la maison, aux gradés, aux officiers comme aux patrons […] Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. […] Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n’a pas de limite. » Maurice Grimaud (29 mai 1968) préfet de police de Paris.
Autres temps, autres mœurs :
« … je n’ai jamais vu un policier ou un gendarme attaquer un manifestant ou un journaliste… » Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. (15 janvier 2019)
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Ce faisant, on est passé à coté d’une question pourtant essentielle : pour quelles raisons cette flambée de violence venant de leurs camarades, Gilets Jaunes comme eux ? Il y avait bien évidemment aussi pour certains d’autres raisons que leur incapacité à analyser, à débattre, à revendiquer.
Les faits aujourd’hui apparaissent assez clairement : le gouvernement a soufflé sur les braises. Les lancers de grenades, les tirs de flashball ont été extrêmement nombreux. Le nombre de blessés graves est tout à fait impressionnant. Du jamais vu depuis des décennies. Autant de flashballs tirés en deux mois qu’en vingt ans ! Il faut bien constater que la violence de la police a déclenché la colère de beaucoup de gens paisibles qui n’avaient, pour certains, jamais manifesté de leur vie. Le cas du boxeur est, en l’espèce, emblématique. Il a fait ce que beaucoup auraient aimé avoir la capacité de faire eux-mêmes.
Une chose est certaine : beaucoup de manifestants Gilets Jaunes ont pu constater ce dont était capable une police asservie à un pouvoir d’un cynisme grandissant.
« Lorsqu’ils se trouvent confrontés à de l’opposition devant leurs initiatives, ils révèlent la haine venimeuse qui se cache sous le masque de la bienveillance bourgeoise. La moindre opposition fait oublier aux humanitaristes les vertus généreuses qu’ils prétendent défendre. Ils deviennent irritables, pharisiens, intolérants. » (Christopher Lasch)
Un pouvoir qui pourtant s’est voulu, proclamé l’incarnation de l’ouverture et de la tolérance. Qui a fustigé la « brutalité » et la « haine » des manifestants. Le ministre de l’Intérieur a même déclaré que les manifestants venaient … « pour tuer ! » Ce qui est un comble quand on sait que les blessés graves se trouvent chez les manifestants et non du coté de la police. Ce même pouvoir a donc exercé sa force avec la brutalité qu’il n’a cessé d’attribuer aux manifestants et a montré à quelle dose de mépris il tenait ceux qui le contestaient. Il a aussi contribué à transformer la Justice en garante de l’Ordre plutôt qu’en garante de la Justice. Celle-ci a suivi la même pente servile que la police en condamnant les Gilets Jaunes à tours de bras.
La dérive du sens des mots a contribué à souvent fausser le débat à l’intérieur du mouvement et dans le public en général ; les journalistes et politiciens y ont, évidemment, largement contribué en aiguillant les mots dans le sens qui les avantageait. Mais il est vrai qu’aujourd’hui la vérité sort du fond du puits. Aidons-là à sortir.
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3) Radicalisation : 27/01/2019
La confusion est constamment faite entre la violence et la radicalisation. Comme si le seul critère de radicalité était la violence. On ne dira peut-être pas assez que les mots ‘radicalité’ ou ‘radical’ proviennent du mot… ‘racine’. On est donc radical quand on prend les problèmes à la racine. Il est donc évident que ‘prendre les choses à la racine’ signifie avant tout avoir (eu) une réflexion pour identifier la racine des maux dont on parle, que l’on subit,…
Exemple : Le mouvement socialiste du XIX° s. a, au sein de la Première Internationale, élaboré une théorie du capitalisme et une stratégie de combat de la classe ouvrière sur l’exploitation de laquelle repose le système. C’est cela, être radical dans ce cas. Savoir les raisons et la source de l’exploitation que l’on subit – ou que certains subissent – et pouvoir agir en conséquence sans se laisser dévier par des aspects secondaires ou les diversions des adversaires.
Qu’entend-on aujourd’hui quand les journalistes nous disent que tel ‘petit truand’ s’est radicalisé en prison ? On fait référence à l’islamisme auquel il s’est converti. Et cette utilisation est tellement fréquente que tout le monde comprend de quoi il s’agit… puisque c’est la langue devenue usuelle chez les flics et surtout les journalistes et les politiciens ; en conséquence, qui s’étend à tous. Le mot ‘radicalisé’ est ici plus qu’abusif. Un apprenti terroriste qui a intériorisé le catéchisme islamiste et s’est transformé en brute violente et sans scrupule (mais croyante) est simplement un musulman extrémiste et violent. Qu’est-ce que sa conception de l’islam a de radicale ? Rien de plus ou de moins que n’importe quelle autre… Une interprétation des plus littérales ? peut-être. Mais comme le dit Boualem Sansal : « Dès qu’on sort de la pratique individuelle pour l’imposer à d’autres, on est un islamiste, que l’on soit modéré ou fanatique. » Il n’est pas question de radicalisme mais de modération ou de fanatisme dans une religion qui a été donnée par le Coran, parole du Dieu lui-même. Des islamistes peuvent être violents, ils ne sont pas pour autant ‘radicaux’. « L’usage ad nauseam de ce terme [ radicalisé ] ne veut plus rien dire… le mot « radicalisé » ne sert à rien qu’à occulter le débat. » dit Gilles Kepel.
À l’opposé, les journaux ne diront jamais que le gouvernement s’est radicalisé en exerçant une violence terrible sur les gilets jaunes dans les manifestations ou en réinvestissant les ronds points à coups de matraque après les avoir laissés aux contestataires pendant plusieurs semaines. Or, c’est bien de cela qu’il s’agit : l’État et son gouvernement reviennent au fondement de ses prérogatives. Comme on l’a entendu maintes fois de la part des ministres dans le cas des gilets jaunes il est celui qui exerce la « violence légale ». C’est donc bien la ‘racine’ de l’État, ce « monstre froid » qui a le monopole de la violence légale. Si on est en droit de dire que l’État s’est radicalisé – non pas parce qu’il exerce la violence mais parce qu’il utilise son droit à la violence – les politiciens, journalistes, etc ne le diront jamais car ils réservent le mot de radicalité ou radicalisation à des révolutionnaires, des islamistes, c’est à dire le domaine …du ‘mal’.
Le mot a acquis une telle connotation péjorative en étant utilisé uniquement dans le cas des islamistes ces dernières années que dire de quelqu’un qu’il s’est radicalisé ne signifie plus qu’une chose : qu’il est acquis à une idéologie malsaine et, de plus, violente. Le mot ‘radicalisation’ a donc pris un sens détourné à force de l’employer dans celui qui n’est pas le sien.
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[…] l’article http://faut-le-dire.fr/index.php/2019/01/22/islamophobie_glossaire/ sur ce […]