Comme Houria Bouteldja avait voulu faire un résumé de la ‘doctrine’ de son Parti des Indigènes de la République = PIR voir https://www.youtube.com/watch?v=tEPL_O5uxkg, à l’occasion de son passage à Nuit debout en juin 2016 nous avons essayé d’en faire quelques commentaires puisqu’elle ne cesse de creuser le sillon toujours plus profond dans l’horreur avec son nouveau livre « Les blancs, les juifs et nous ». Retour donc sur les positions ‘politiques’ qu’elle défend à cette occasion.
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Elle déclare devant les ‘nuit deboutistes’ que «[le] centre de gravité [de nuit debout] est actuellement celui de la loi El Khomri – dont bien entendu nous comprenons les enjeux » tout en déclarant que ça ne suffit pas pour que les ‘racisés’ 1 s’y impliquent ; il faudrait pour cela que le mouvement en question fasse « évoluer son centre de gravité […] vers les questions liées à l’impérialisme, au racisme et à ses conséquences dramatiques sur le sol français ».
Tout d’abord, il apparaît que les ‘racisés’ du PIR ne sont pas assez concernés par la loi El Khomery pour s’impliquer dans la lutte telle qu’elle s’est déroulée. Ce que, bien sûr, tout le monde peut constater et que certains déplorent. Par exemple, cette cohorte d’’intellectuels’ – que cite H Bouteldja dans son discours – qui appellent les banlieues (…les ‘racisés’ ?) à se soulever avec les autres (…les blancs ?) pour que l’association des deux les rende irrésistibles. ‘Pas si vite !’ répond-elle. Pour que l’association puisse se faire il faut que le centre de gravité soit déplacé vers les questions liées à l’impérialisme, etc… On constate que l’attitude de la maîtresse Bouteldja, qui vient faire la leçon à Nuit debout, entend représenter les ‘racisés’ et, de ce fait, déclare savoir ce qui les ferait bouger. La loi El Khomri – « dont bien entendu nous comprenons les enjeux » – ne fait pourtant pas partie des motifs possibles de ralliement au ‘mouvement social’. On se demande bien pourquoi. Les ‘banlieues’ ne seraient-elles pas exposées aux affres de la logique d’exploitation salariale ? n’en sont-ils pas même plutôt en première ligne ? Pour elle, ça ne semble pas être (suffisamment) le cas. Pour elle, ce qui motive les ‘racisés’ et donc leurs soi-disant représentants du PIR, c’est – quasiment exclusivement – la lutte contre l’impérialisme et le racisme. La lutte contre l’exploitation et celle contre le racisme sont-elles à ce point dissociables voire opposables au point que, quand on s’engage dans l’une, il n’y a pas (ou pas assez) de place pour l’autre ? La position adoptée ici par Bouteldja consiste plutôt à exiger un ralliement à sa défense de l’identité (une de plus) ‘postcoloniale’ et à l’idéologie identitaire sécrétée par son parti : le PIR. On peut se demander ce qui pousse pas mal de gens depuis deux bonnes décennies à rallier les problématiques identitaires – comme le fait le PIR …mais aussi les soraliens et autres ‘identitaires’ de l’extrême droite plus ‘classique’ – et à délaisser celles liées à l’exploitation. Mais enfin l’aveuglement identitaire est là. Les textes du PIR ne sont d’ailleurs pas faits pour comprendre une situation politique, ils constituent plutôt une posture pour séduire, et endormir – comme le disaient les anarchistes du siècle dernier à propos des politiciens, les qualifiant d’endormeurs. Les ‘racisés’ de Bouteldja ne sont pas (ou pas assez) concernés par le monde de l’exploitation ; par contre, ils le sont par l’impérialisme, la Palestine, etc. Là où on commence à être dubitatif sur les faits avancés, c’est quand elle nous parle de la riche expérience qui est la sienne et celle des ‘racisés’, des « héritiers des luttes qui nous ont précédés » et de citer les « luttes post coloniales » dont ils constituent « l’avant garde de la confrontation avec l’État National et Impérial et à sa mythologie depuis plus de 40 ans à travers les comités police justice, les résistances face au démantèlement des camps des roms, la lutte contre le racisme d’État, la lutte pour la Palestine, la fin de la Françafrique et pour la mémoire de la colonisation et de la traite ». Comme reconstruction historique, ça sent le stalinien à plein nez. Elle ne se souvient évidemment pas des luttes de ceux qu’on appelait les ‘travailleurs immigrés’ dans les années 70, la main d’œuvre de Renault et des grosses entreprises de l’époque où ceux-ci jouaient un rôle non négligeable lors des luttes ouvrières contre les directions. Il est vrai que seuls les thèmes identitaires l’intéressent. Elle et ses groupies. Elle ne se souvient pas non plus d’une certaine histoire de la décolonisation, comme cette intellectuelle algérienne : « Je suis, et je reste, ancrée dans une culture universaliste. Le féminisme maghrébin auquel j’appartiens a été porté par les mouvements de décolonisation avec la participation massive des femmes, et, quels que soient les résultats, ces mouvements parlaient de liberté et d’égalité. » 1 Mais parler d’une culture universaliste à Bouteldja, c’est comme parler d’émancipation féminine à un curé intégriste.
Mais notre ‘pasionaria’ des banlieues ne s’arrête pas là. La leçon continue. « Le mouvement ouvrier blanc a tendance à s’en remettre à la légalité républicaine, à faire confiance à la neutralité de l’État ». C’est peut-être ce genre de propos qui séduit franchement certains gauchistes – qu’elle arrive à rallier avec une facilité déconcertante. « le mouvement ouvrier s’en remet à la légalité républicaine » et ça, c’est pas bien, nous dit-elle ! Formidable envolée révolutionnaire. Alors pourquoi ne pas ‘radicaliser’ ce mouvement ouvrier puisque le PIR a des objectifs au-delà de la légalité républicaine ? Eh bien, parce que c’est à cause de sa ‘blanchitude’ que ce mouvement se rallie à la République. Voilà qui explique tout pour Bouteldja. Le compromis social des Trente Glorieuses, Bouteldja n’en parle pas ; tout ça ne pouvant être rattaché à la logique ‘postcoloniale’ qui est la sienne. La façon dont le capitalisme s’est fait accepter par les organisations ouvrières de cette époque et le discours ‘revivaliste’ des gauchistes d’aujourd’hui qui ne jure que par le programme du Conseil National de la Résistance (CNR) alors que celui-ci avait ouvert la voie à une intégration des ouvriers à la logique du monde capitaliste, elle ne se souvient pas de ça non plus ? Bien sûr, on est là bien loin de ses préoccupations ! Pourtant, c’est bien à cette époque que les grandes entreprises ont commencé à importer en masse les ‘travailleurs’ notamment de ce qui était encore : les colonies. Mais ceci ne fait pas partie du roman bouteldjien alors elle préfère se cantonner à opposer les blancs et … ‘nous’. Et penser que si le mouvement social s’est institutionnalisé, c’est du fait qu’il était …‘blanc’. Mettez un peu de ‘nous’ 2 et vous verrez tout de suite et avec certitude un élan vers la révolution. D’ailleurs, de quelle ‘révolution’ parle notre ‘pasionaria’, on n’en saura rien, c’est un mot (quand elle le prononce) sans contenu. Pourquoi diable lutter contre l’État ? Pour obtenir une « radicalisation des mots d’ordre du mouvement social ». Et pourquoi une telle « radicalisation… » ? pour aller vers … « une opposition à l’État ». On tourne en rond et on n’en saura pas plus. Nous disions que la théorie du PIR consistait – comme tant d’autres, bien sûr – en une simple posture… en voilà une illustration parmi d’autres.
Tout tourne chez nos racialistes autour de la ‘lutte contre l’hégémonie blanche’. Et tout ce qui est blanc est entaché de quelque vice… par nature. Mais surtout n’y voyez aucun ‘essentialisme’ ni aucun racisme car, d’après elle, la race est ‘sociale’. Et pour lutter contre cette hégémonie il faut, par exemple, que les femmes ne soient pas comme il est maintenant de bon ton chez les ‘blancs’, à savoir libérées ; le foulard, c’est quand même plus stylé, non ? Car l’important pour elle, c’est la race. Au moins, une femme ‘racisée’ portant un foulard est plus proche de ses racines. Refuser l’air de liberté que pourtant pas mal de femmes du Maghreb entonnent en chœur sous prétexte qu’il faut rejeter l’idéologie ‘blanche’, voilà un coup de force auquel les citoyens professionnels qui défendent bec et ongles le multiculturalisme ne voit rien à redire. Après tout, le foulard n’est, selon certaines féministes européennes, qu’une mode …comme celle des cheveux longs par exemple. On ne peut pas incriminer les gens pour ça, et puis …tout le monde peut s’habiller comme il veut. Il est interdit d’interdire, ne le savions-nous pas ? Ça n’a, pour eux, rien à voir avec un symbole religieux de soumission de la femme. Dire ça serait de la pire islamophobie, ajouteraient-ils. Quant aux homosexuels – encore une histoire de ‘blancs’ – ce ne sont donc que des « tarlouzes », dixit Bouteldja ! Pas question de voir ça chez les ‘racisés’. Bref, notre maîtresse en radicalité nous enseigne tout ce qu’il faut être et ne pas être puisque maintenant, pour cette engeance, tout tourne autour de l’identité, le reste n’est que faiblesse, illusion. Pas question pourtant de l’accuser – elle et ses complices – de dénigrement ou de stigmatisation. C’est comme le racisme, ce n’est bon que pour les ‘blancs’.
Pour conclure, il faut bien revenir sur la façon dont Bouteldja mène son propos à Nuit Debout. Tout d’abord, elle semble adhérer à la problématique du mouvement puisqu’elle y intervient. Mais tout de même : un pied dedans mais aussi, surtout, un pied dehors. Car elle fixe des exigences pour que (ce qui apparaît et qu’elle considère comme) ses troupes (entendre : les ‘banlieues’) rejoignent le mouvement. C’est peu dire que ça sonne faux ! Qu’elle veuille représenter les ‘quartiers’ est un chose, qu’elle les représente vraiment en est une autre. D’autre part, sa façon de présenter ce qu’on ne peut prendre que pour son ‘idéologie’ relève du storytelling à l’américaine. « Imaginons que le pilier de cette géopolitique du pouvoir ce soit …LA RACE ! » dit-elle. Il s’agit bien d’une posture où elle reprend les banalités du café du commerce de ‘banlieue’ comme Le Pen et consorts reprennent celles proférées au bistrot de Cuges les Oies. Elle nous dit que les « luttes post coloniales […] se trouvent à l’avant garde de la confrontation avec l’État National et impérial ». Soit, mais de cet État, elle ne dit pas grand-chose à part qu’il est national ou impérial. Elle reproche aux blancs de « faire confiance à la neutralité de l’État » mais sans jamais nous dire comment dépasser ce mode de fonctionnement social 3 ; elle nous ressasse seulement son obsession de la lutte contre l’impérialisme et le racisme – à l’exclusion, bien sûr, de toute autre considération ! – cela nous fait penser que la critique de l’État tel qu’il est et tel qu’il fonctionne dans le capitalisme mondialisé 4 est absolument absente chez cette intellectuelle ‘racisée’ et ‘post coloniale’. Un poste dans cet État et une reconnaissance comme représentante des ‘quartiers’ paraît bien être son seul objectif.
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1 Quand le PIR parle des ‘racisés’ il s’agit des peuples colonisés ou ex colonisés mais, en gros, ce sont les noirs et les arabes ; elle parle bien sûr avant tout de ceux qui (sur)vivent dans les ‘banlieues’. Il faut tout de même être prudent dans les définitions avec les discours de Bouteldja car ces définitions restent très ‘flottantes’. On peut néanmoins rapprocher cette définition de cette affirmation de Youssouf Fofana, le chef du ‘gang des barbares’ en 2006 : « nous autres, arabes et noirs, on doit s’unir » ‘Tout tout de suite’, livre de M. Sportès p 183.
3 « Les Feujs, c’est les rois, ils bouffent l’argent de l’État. Et nous les noirs, l’État nous considère comme des esclaves. Vous, les arabes et nous, les noirs, on doit se serrer les coudes ! » dit Youssouf Fofana, chef du fameux ‘gang des barbares’ dans ‘Tout, tout de suite’ de Morgan Sportès p 140.
4 on peut lire une critique de ce capitalisme mondialisé et de l’État à : http://faut-le-dire.over-blog.com/pages/Capitalisme_et_totalitarisme_De_la_contrainte_dans_une_societe_industrielle_La_nature_la_technologie_le_totalitarisme_et_la_democratie-7528283.html
Sur un sujet voisin, on pourra lire sur ce site : https://faut-le-dire.fr/index.php/2017/11/16/ramadan-et-consorts/
[…] On pourra lire sur ce site et sur un sujet voisin : http://faut-le-dire.fr/index.php/2016/12/16/houria-bouteldja-et-le-pir/ […]
[…] (5) La « marche de la dignité » en gros sur les banderoles et « contre le racisme » en tout petit, à laquelle ont participé aussi les ‘libertaires’ de la CNT et d’ Alternative Libertaire. La marche était évidemment organisé par les comparses de Bouteldja, la parti des indigènes de la république. À propos de celle-ci, on peut lire http://faut-le-dire.fr/index.php/2016/12/16/houria-bouteldja-et-le-pir/ […]
[…] (5) La « marche de la dignité » en gros sur les banderoles et « contre le racisme » en tout petit, à laquelle ont participé aussi les ‘libertaires’ de la CNT et d’ Alternative Libertaire. La marche était évidemment organisée par les comparses de Bouteldja, la parti des indigènes de la république. À propos de celle-ci, on peut lire http://faut-le-dire.fr/index.php/2016/12/16/houria-bouteldja-et-le-pir/ […]