Commentaire sur l’ « affaire Ramadan » et la façon dont certains s’y prennent.

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    « Si tu veux être heureux, nom de Dieu, Pends ton propriétaire. Coupe les curés en deux, nom de Dieu, Fous les églises par terre, sang Dieu ! Et l’bon Dieu dans la merde, nom de Dieu, Et l’bon Dieu dans la merde ! »

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Alors que se déchaînent les dénonciations tous azimuts suite à l’affaire Weinstein la parole des femmes harcelées ou violées qui semble se libérer à cette occasion a désigné un fameux islamologue à la vindicte populaire. L’article de M. Ivan Segré sur le site Lundi matin – https://lundi.am/Le-porc-le-sioniste-et-le-predicateur-musulman – site qui fait la part belle aux tendances insurrectionnalistes, attire l’attention sur les accusations à l’encontre de Tarik Ramadan. Toutefois, il nous semble qu’il y a là plus à laisser qu’à prendre et que cet article pose quelques problèmes importants. Tout au long de l’article on a le sentiment que l’auteur cherche une porte de sortie honorable pour l’islamologue. Au prix de contorsions étonnantes.

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Commençons par les faits les plus simples, il oublie de mentionner après avoir dit que Ramadan enseignait dans la ‘prestigieuse’ université d’Oxford (1) que celle-ci l’avait mis en congé suite aux accusations. Il omet aussi de mentionner qu’en Suisse quelques collégiennes l’ont accusé de harcèlement et même de viol. Mais peut-être que l’article de M. Segré avait été rédigé avant que ces nouvelles ne fussent connues. Par contre, il est peu probable qu’il lui ait échappé que chacune des deux accusatrices avait indiqué avoir subi des pressions et même des menaces de mort si elles portaient plainte. Que, de plus, les dites menaces ont aussi été proférées par d’autres que Ramadan. Une espèce donc de gang qui prendrait sa défense et veillerait au grain. M. Segré a, par contre, bien indiqué et maintes fois répété que, pour le moment, on ne peut rien affirmer de sa culpabilité tant que la justice n’a pas tranché pour savoir qui a menti ou – éventualité plus probable selon lui – si la justice ne tranche pas faute de preuves. Il le martèle tout au long de l’article.

Quand il nous dit que Ramadan est un intellectuel on sent bien une certaine admiration surtout quand il fait le parallèle avec Fourest qui, pour lui, n’en est pas une. On peut se demander ce que ça change dans notre affaire qu’il soit un intellectuel ou pas ? Rien sans doute mais pour l’auteur du texte ça a vraiment de l’importance. Et il voudra dans la suite du texte prouver que lui aussi en est un en « introduisant un minimum de lisibilité dans cette « affaire Ramadan ».

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« il est trois éléments dans « l’affaire Ramadan » qui me paraissent d’ores et déjà établis, sans l’ombre d’un doute. » écrit-il. Voyons cela.

Premier élément : « on est en droit de se demander si l’idéologie patriarcale et sexiste est d’abord le fait de l’islam rigoriste ou de l’industrie occidentale du divertissement. » Qu’entend-on ici par islam …‘rigoriste’ ? Si l’on considère – dans un premier temps – qu’il s’agit de l’islamisme politique (Daech, Al Qaida, etc) évidemment M. Segré oublie quelques victimes de cet islam comme ces femmes yézidis réduites en esclavage et/ou assassinées. On est bien au-delà du harcèlement ou même du viol dans ce cas. Si l’on considère qu’il s’agit d’un islam ordinaire tel qu’il se manifeste dans les pays du Maghreb par exemple, on peut se souvenir de celles qui sont agressées tous les jours dans les rues des villes marocaines (par des musulmans lambda – sont-ils ‘rigoristes’ ?) et qui n’osent même pas protester tant la pression machiste est majoritaire – on lira, entre autres, les mésaventures de l’actrice Loubna Abidar (2) qui finalement décide de quitter son pays suite aux exactions qu’elle subit dans la rue de la part de certains de ses concitoyens ; comme dit Kamel Daoud : « Une femme qui décide de porter une jupe à Paris, c’est un choix esthétique ; une femme qui décide de porter une jupe en Égypte, en Tunisie ou en Algérie, c’est de la lutte et de la lutte concrète. » Concrète mais tellement invisible vue de France, n’est-ce pas ? On pourrait aussi revenir sur les centaines de femmes violentées à Cologne ou en Suède, les viols à répétition en Angleterre pendant une décennie. Est-ce que pour M. Segré, ça ne compte pas ?

On pourrait se poser ici une question importante : comment se fait-il que les femmes françaises, occidentales (et les hommes) se réveillent maintenant ? Pourquoi dénoncent-elles maintenant les ‘porcs’ – après l’affaire Weinstein dans le monde du show biz – alors qu’elles n’ont pas beaucoup bougé après les événements que je viens de citer et n’ont pas ‘balancer leur porc’ à ce moment-là. Certaines ‘féministes’ ont même défendu les harceleurs de Cologne [ on peut lire l’article Un certain féminisme  .] Pourquoi une telle disproportion dans les dénonciations ? Ne serait-ce pas que dénoncer des immigrés qui agressent des femmes allemandes, ce n’est ni charitable ni très ‘progressiste’ alors que dénoncer des porcs comme Weinstein, là oui, on peut y aller : le type incarne la figure la plus ignoble du pouvoir (mâle et blanc) ! Les Mujeres Libres de la révolution espagnole, elles, s’en prenaient au machisme de LEURS hommes et prenaient ainsi leur place dans le combat pour l’émancipation. C’était bien autre chose évidemment ! On dirait que pour certains, « Il [ne] faut [pas] toujours dire ce que l’on voit : surtout il [ne] faut [pas] toujours voir ce que l’on voit. » (3)

Second élément (toujours selon M. Segré) toujours « établi, sans l’ombre d’un doute. » : « D’autres femmes, comme elles, ont été contraintes de retirer leur voile, pour aller à l’école, trouver du travail, s’insérer dans la société, etc., ce qui a dû être ‘très difficile, très compliqué, beaucoup de culpabilisation’. Mais qui s’en émeut ? » M. Segré, lui, s’en émeut et il a raison. Cependant, pourrait-on lui rétorquer, là s’arrête son émotion ; il ne s’émeut pas de tous ceux qui doivent laisser leur liberté de se vêtir comme ils l’entendent et se ‘déguisent’ pour aller au travail tous les matins. Contre leur gré. Et ils sont nombreux ! Il est clair que leur motivation n’est pas religieuse mais esthétique ou politique. Serait-ce une motivation mineure ? En d’autres termes : n’importe qui peut constater que le travail, la religion contraignent les corps, imposent des normes mais des ‘intellectuels’ – dont M. Segré – considèrent que les normes imposées par la religion sont là de toute éternité ; ils n’ont pas à les analyser et ne se posent pas la question de savoir comment celles-ci se sont imposées. Pour les apologistes du système capitaliste ce système serait ‘naturel’ (Alain Minc) de même pour ces ‘intellectuels’-là la religion est ‘naturelle’ et il ne leur appartient pas d’étudier comment et pourquoi les normes religieuses sont produites.

Il continue son second point en ces termes : « L’histoire que les médias vous racontent est d’une tout autre facture : une femme autrefois salafiste s’est aujourd’hui libérée de l’islam ; elle est vêtue de cuir, épanouie, dévoilée, sexy et heureuse, si ce n’était le viol commis par un prédicateur musulman qui juge qu’une femme doit être ‘voilée ou violée’. » Les médias racontent leur histoire, l’auteur raconte la sienne ! Parlons-en : M. Segré oublie bien sûr de dire que si Henda Ayari a ressenti de la ‘culpabilisation’ en enlevant son voile elle a aussi écrit un livre sur le sentiment de liberté et la décision qu’elle a prise de devenir ce qu’elle est aujourd’hui …à la fois éloignée et opposée aux salafistes. Ceci change quand même pas mal la vision qu’il nous donne de sa situation ; elle n’a pas eu que cette tristesse d’ôter son voile, elle en a fait le deuil. A quoi tient cette ‘difficulté’ à enlever le voile ? Au fait de s’éloigner de sa foi ? Pour l’auteur cette réponse est la bonne – et donc la société française qui l’y a obligée est ‘structurellement islamophobe’ ! conclut-il. Cependant Henda Ayari a fait le pas pour s’éloigner de ce mode de vie ; et dans une vie bien remplie chaque pas vers le ‘mieux’ coûte. M. Segré n’a-t-il jamais entendu des ex-staliniens dire qu’ils avaient pleuré en quittant le Parti Communiste, se séparant ainsi de ce autour de quoi ils avaient construit leur vie jusque là. Mais ils l’ont quitté malgré tout parce qu’ils estimaient devoir le faire. Car il y a bien sûr dans toute adhésion à une foi, une idéologie, …mais aussi une ‘église’, un parti, … tout un tissu de liens affectifs qui est construit et, en sortir ne peut qu’être difficile – certains n’en sortent même jamais bien qu’ayant compris dans quel bourbier ils vivent. La foi est un vecteur de solidarités, d’identifications dont on ne peut sortir sans difficultés. On pourrait chercher de ce coté-là la nature des difficultés de Henda Ayari plutôt que de penser que la société française, dans son intolérable islamophobie, l’y a obligée. En tous cas, la suite de son parcours semble, pour nous, indiquer cette voie.

Troisième et dernier élément : M. Segré note dans un article de soutien à Ramadan le titre évocateur de : « Tariq Ramadan face au sionisme international ». En effet, la ‘défense’ de Ramadan par ses fidèles se joue beaucoup sur l’argument du « juif-sioniste-comploteur ». Il nous dit qu’il y a là « un autre versant de la xénophobie… » On notera la facilité avec laquelle il passe de ‘sioniste’ à ‘juif’, ce qui permet de qualifier de xénophobes les accusations des ‘ramadanistes’ et de renvoyer dos à dos les pourfendeurs supposés des musulmans et les stigmatiseurs supposés du judaïsme (…ou du sionisme ?). Il est clair pourtant que le sionisme est une politique – et pas une race ou une religion – à laquelle participent aussi des non juifs. Cette assimilation des détracteurs de Ramadan au sionisme est évidemment tout à fait risible mais revient avec une telle insistance dans les milieux islamistes qu’on ne peut pas s’en étonner. Pourtant le pastiche que M. Segré fait de cette situation (dont le récit à la mode islamiste est des plus confus) en rajoute à la confusion. Il n’y a pas de xénophobie anti musulmane d’un coté et anti juive de l’autre. Or, c’est ce qu’il essaie – vainement ! – de démontrer. On nage en eaux troubles en exposant la situation de cette façon. Les accusatrices de Ramadan ne se basent pas sur sa race ou sa religion pour l’accuser de viol et de la même façon quand M. Segré évoque la xénophobie des soutiens de Ramadan il extrapole grandement puisque ceux-ci parlent de sionistes. Il semble clair que M. Segré et les défenseurs de Ramadan ont des positions très voisines. Il lui faut dans les deux cas dénoncer les phobies anti musulmanes pour Ramadan et anti juives pour Segré. Son objectif est de dénoncer deux phobies symétriques. Ça n’a rien à voir avec la réalité !

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Nous ne pouvons que conclure en plein accord avec M. Segré cette fois : « C’est à nous qu’il revient de penser, de parler et d’agir, du moins si nous n’entendons pas céder à l’idéologie dominante. » Là où nous divergeons d’une façon essentielle, c’est dans le fait de situer cette idéologie dominante ; nous pensons que M. Segré, postmoderne en diable, est un thuriféraire et propagandiste de cette idéologie dominante. Son parti pris religieux et son libéralisme extrême nous emmènent bien loin de la critique du capitalisme et encore plus loin de l’émancipation que, quant à nous, nous essayons de porter. « Si nous ne travaillons pas à l’effondrement du capitalisme, nous travaillons à l’effondrement de l’humanité ! » (4)

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(1) on sent très vite que Ramadan est de son monde : un ‘intellectuel’.

(2) l’actrice principale du film ‘Much loved’ agressée par les gens dans la rue au Maroc ; les flics marocains ne l’ont pas aidée et l’ont même plutôt enfoncée dans sa détresse.

(3)« Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout, ce qui est plus difficile, il faut toujours voir ce que l’on voit. » Ch. Péguy.

(4) Hermann Shurmann (1924)

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On pourra lire sur ce site et sur un sujet voisin : https://faut-le-dire.fr/index.php/2016/12/16/houria-bouteldja-et-le-pir/

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