Grèce

<<<<<<<<<<<< I >>>>>>>>>>>

Mardi 17 mai 2016 a eu lieu une projection – au Centre Ascaso Durruti à Montpellier – du film ‘La tourmente grecque II’ de Philippe Menut. L’article qui suit est une critique du point de vue qui est défendu par son auteur ainsi que par la plupart des organisations d’extrême gauche.

< résumé >

Si la liberté a un sens, c'est de pouvoir dire aux gens ce qu'ils ne veulent pas entendre

Si la liberté a un sens, c’est de pouvoir dire aux gens ce qu’ils ne veulent pas entendre

1_ l’idée que les problèmes des grecs ne dépendent que de la dette de leur État ne peut aboutir qu’à tourner en rond autour des solutions à ce problème spécifique et laisser les grecs subir plus ou moins d’austérité dans un système capitaliste restant intouchable.

2_ on en vient, après les multiples défections des partis de gauche à résoudre la crise, à chercher la représentation politique adéquate ; après la gauche qui a failli (le PASOK, équivalent du PS) vient la gauche de gauche qui a failli aussi en moins de six mois (Syriza, équivalent du Front de Gauche) puis maintenant nous voilà avec la gauche …de la gauche de gauche : Unité Populaire (???) ; en somme, on court d’une façon haletante après la bonne représentation électorale.

Comme nous l’avons dit la gauche […] ne peut faire que ce qu’elle sait faire : gouverner. Or, comme le dit Anselm Jappe, ce n’est pas par le biais de l’État qu’on viendra à bout du capitalisme.

3_ Des mouvements populaires autonomes ont fait leur apparition en Grèce dès que l’austérité imposée a commencé à faire les ravages que l’on sait. Apparition de centres autogérés qui ont rempli des fonctions nécessaires dont certaines avaient été abandonnées par l’État. Guidés par une entraide ressentie de plus en plus comme indispensable, sont apparus des centres de distribution alimentaire, de vêtements, d’aide médicale, etc… avec une notable effervescence culturelle (1). En évitant de jouer les palliatifs, ces centres autogérés s’inscrivent dans une dynamique d’entraide et surtout de prise en charge de la société par tous.

il n’y a que deux possibilités en Grèce aujourd’hui : une gestion de l’austérité imposée par les dirigeants européens qui ne peut que vampiriser la population et dont les grecs ne risquent pas de sortir de sitôt s’ils en restent au vote de gauche ou bien, dans un autre registre, construire patiemment un alternative de vie révolutionnaire. Il va sans dire que, dans ce deuxième cas, la lutte continue contre le capitalisme et donc l’État.

< article >

Le film nous emmène longuement dans les coulisses du gouvernement Syriza et de leurs interlocuteurs européens pendant la négociation sur le dette grecque, nous faisant entendre les commentaires des uns et des autres. Les dirigeants grecs avec leur envie de rester dans la zone Europe coûte que coûte et les positions intransigeantes des dirigeants européens qui finirent par faire plier Tzipras et Syriza, l’obliger à accepter les effarantes conditions de spoliation du peuple grec que l’on sait. Il présente ensuite ses analyses de la situation avec un fort parti pris pour la gauche du parti Syriza qui, finalement, s’est désolidarisée de l’action du gouvernement Tzipras et a formé son propre parti.

La situation en Grèce nous est présentée de telle façon que 1) le (non) paiement de la dette de l’État apparaisse – non pas forcément le seul problème mais – la racine unique de tous les problèmes des grecs ; et 2) l’action gouvernementale – et particulièrement la négociation sur la dette de l’État – avec les représentants européens en vienne à être la seule solution à la situation vécue.

L’action populaire y est laissée presque totalement dans l’ombre. On n’en parle que pour regretter que le parti Syriza au pouvoir n’ait pas suffisamment sollicité le soutien de ses citoyens pour appuyer ses actions vis à vis des dirigeants européens.

1_ l’idée que les problèmes des grecs ne dépendent que de la dette de leur État ne peut aboutir qu’à tourner en rond autour des solutions à ce problème spécifique et laisser les grecs subir plus …ou moins d’austérité dans un système capitaliste restant intouchable.

En effet, l’austérité imposée par la ‘troïka’ et supportée par le peuple grec a eu de telles conséquences que le population a finalement élu un gouvernement dont l’objectif n’était certes pas de changer la société mais d’en soulager les souffrances (retraites, chômage, salaires, prix, etc…). Or il s’est avéré que l’affaire devenait plus délicate que le parti élu Syriza ne le pensait. Aucune concession n’a été faite par les dirigeants européens et on peut même dire qu’ils en ont rajouté au fil du temps. Tzipras avait bien cru à un « joker » imparable avec le referendum auquel les grecs ont dit NON à l’austérité imposée. A ce moment, il a demandé une manière de soutien à son peuple et il l’a eue. Clairement. Mais rien n’a changé, la démocratie ne fait pas le poids par rapport aux accords internationaux, dixit Junker. Une semaine après le triomphe du referendum, Tzipras accepte ce qu’il avait refusé pendant presque six mois. D’où la scission dans son parti entre ceux qui restent solidaires de leur chef et ceux qui ont refusé et refusent toujours sa décision. Était-il possible de faire autrement ? Oui, répond le film, et le point de vue des contestataires de Syriza est exposé comme l’alternative. L’argument majeur reste celui d’Eric Toussaint, spécialiste de la dette d’État qui est déjà intervenu en Equateur à la demande du président Correa pour ce même problème. Il dit que le refus de payer la dette aurait amené les créanciers à céder alors que les paiements réguliers qu’opérait l’État grec depuis l’imposition de l’austérité – y compris après l’arrivée de la gauche – le mettait en position de faiblesse. Refuser de payer aurait conduit à une position de force. Le film ajoute quand même qu’il aurait fallu, plutôt que de laisser la population dans l’attente des résultats des négociations, qu’il y ait un fort mouvement populaire de soutien à la politique de Tsipras – ce que celui-ci n’a manifestement pas souhaité.

La position du réalisateur du film est celle d’une bonne partie de l’extrême gauche. Nous ne la partageons pas ! Non pas parce que nous soutenons Tzipras dans son acceptation de l’austérité mais parce que nous pensons nécessaire de regarder ailleurs.

2_ on en vient, après les multiples défections des partis de gauche à résoudre la crise, à chercher la représentation politique adéquate ; après la gauche qui a failli (le PASOK équivalent du PS) vient la gauche de gauche qui a failli aussi en moins de six mois (Syriza équivalent du Front de Gauche) puis maintenant nous voilà avec la gauche …de la gauche de gauche : Unité Populaire (???) ; en somme, on court d’une façon haletante après la bonne représentation électorale.

Comme nous l’avons dit la gauche (même ‘puissance n’) ne peut faire que ce qu’elle sait faire : gouverner. Or, comme le dit Anselm Jappe, ce n’est pas par le biais de l’État qu’on viendra à bout du capitalisme. Mais cette préoccupation-là n’est évidemment pas celle de la gauche. Et donc pas plus celle de Tzipras bien sûr. Celui-ci a toujours, dans les tournées européennes qu’il faisait avant son accession au pouvoir, pris soin de préciser qu’il n’était pas un bolchevik au couteau entre les dents mais un brave politicien qui ne veut que le bien de son peuple. Ce n’est pas plus l’option de ses successeurs qui tiennent maintenant le flambeau de la gauche de la gauche de gauche. Peut-être ont-ils mieux compris le rapport de force à établir avec les dirigeants européens… C’est possible mais pas si sûr. Car la situation de la Grèce à l’intérieur du cadre européen est différente de celle de l’Équateur qui (n’)avait (que) le FMI et les banques privées au dessus de lui.

Ceci dit, même si le rééchelonnement et/ou l’effacement de tout ou partie de la dette a lieu il faudra, comme le dit Tzipras dans le film, « se retrousser les manches » (et, comme l’avait dit avant lui Maurice Thorez du PCF en 1936, « il faut savoir terminer une grève dès que la satisfaction est obtenue… ! ») On voit bien que la sollicitation du mouvement populaire est dangereuse pour les dirigeants politiques car, quand il est lancé, on ne sait plus trop comment l’arrêter et la situation peut devenir délicate pour ceux-là mêmes qui l’ont sollicité. On comprend que Tzipras n’ait pas voulu y avoir recours et qu’il ait plutôt demandé au peuple la confiance …et la soumission à son gouvernement. C’est bien là, le problème ! Les mouvements de masse tendent à s’autonomiser par rapport aux partis et ceux-ci les craignent au plus haut point. A raison. Quant à nous, nous faisons le pari inverse. La liberté sera dans un mouvement autonome et pas dans le sillage d’une quelconque parti.

3_ Des mouvements populaires autonomes ont fait leur apparition en Grèce dès que l’austérité imposée a commencé à faire les ravages que l’on sait. Apparition de centres autogérés qui ont rempli des fonctions nécessaires dont certaines avaient été abandonnées par l’État. Guidés par une entraide ressentie de plus en plus comme indispensable, sont apparus des centres de distribution alimentaire, de vêtements, d’aide médicale, etc… avec une notable effervescence culturelle (1).

En évitant de jouer les palliatifs, ces centres autogérés s’inscrivent dans une dynamique d’entraide et surtout de prise en charge de la société par tous.

D’une certaine façon les populations prennent le relais de l’État et des structures privées qui assuraient leur rôle auparavant. En les bouleversant bien entendu. A une logique marchande ou de gestion par l’Administration se substitue une logique de prise en charge autonome avec tout ce que ça comporte dans la façon d’être socialement. Certes, ce mouvement n’est pas aussi puissant qu’il le fut, par exemple, dans l’Espagne révolutionnaire de 1936 mais, tout de même, il a existé et existe encore. Il indique bien la direction à ceux qui pensent qu’on ne pourra pas revenir à « avant l’austérité ». Effectivement, une part de la population court après la restauration d’une situation de ‘bien être’ antérieure à l’austérité. Une autre partie de cette population, par contre, se rend compte de l’impossibilité de ce retour. En conséquence de quoi, elle refuse le recours à des solutions politiques devenues obsolètes. Comme celles proposées par la gauche.grece_émeute

Ce mouvement n’est pas contradictoire avec le très hypothétique effacement de la dette par l’État grec. Cependant, il ne vaut que parce qu’il est autonome, ayant pour but ultime son propre accomplissement et refuse toute allégeance à l’État. C’est une alternative proprement révolutionnaire et libertaire. Et c’est bien la grosse différence avec l’alternative qu’incarnent toutes les gauches passées et à venir : dans leurs perspectives il n’y a que l’aménagement du capitalisme et rien d’autre !

L’alternative révolutionnaire n’apparaît pas du tout dans le film. Le réalisateur dira même que le mouvement social est apathique en Grèce. Mais la conception que les gens de gauche ont d’un mouvement social – et, en cela, ils sont dans la droite ligne du léninisme – c’est que le mouvement ne peut apporter ce qu’ils appellent une ‘ligne politique’, il ne peut tout au plus – pour eux – que soutenir le (bon) parti qui, lui, en est capable. En fait, le mouvement des centres autogérés est la négation même de cette vision et se situe dans la perspective d’une société émancipée.

Une petite partie de la société grecque s’est engagée dans cette alternative. Il est possible que ce mouvement apparaisse un peu trop faiblard en regard de la situation historique. L’avenir nous dira ce qu’il en est vraiment.

Mais il n’y a que deux possibilités en Grèce aujourd’hui : une gestion de l’austérité imposée par les dirigeants européens qui ne peut que vampiriser la population et dont les grecs ne risquent pas de sortir de sitôt (2) s’ils en restent au vote de gauche ou bien construire patiemment un alternative de vie révolutionnaire. Il va sans dire que, dans ce deuxième cas, la lutte continue contre le capitalisme et donc l’État.

(1) voir le film de Y. Youlountas « Ne vivons plus comme des esclaves » et l’article IV qui lui est consacré sur cette page.

(2) http://faut-le-dire.over-blog.com/pages/Capitalisme_et_totalitarisme_De_la_contrainte_dans_une_societe_industrielle_La_nature_la_technologie_le_totalitarisme_et_la_democratie-7528283.html

 

 

<<<<<<<<<<< II >>>>>>>>>>>>

 

28 août 2015

A (l’extrême) gauche les commentaires vont bon train sur l’avenir de la Grèce et de son gouvernement de ‘gauche radicale’. Les politiciens de certains partis de gauche européens infléchissent leurs positions et, alors que le cadre européen n’était guère mis en cause auparavant ils en viennent à une certaine hostilité à celui-ci. Il n’y avait juste qu’un petit réglage à faire, pensaient-ils, pour que l’Europe soit la meilleure initiative politique qui fût. Mais aujourd’hui il est difficile de continuer à aller dans ce sens après les déboires de la gauche radicale grecque. A. Tsipras ne pourra que s’en réjouir d’ailleurs, qui pense qu’il a « réussi à internationaliser le problème, à le faire sortir des frontières, à dévoiler le dur visage des partenaires et créditeurs. » (*)

Les intellectuels de gauche – économistes en tête – se démarquent par leurs propositions.

Jacques Sapir qui prolonge les doutes ambiants nous propose maintenant – non pas seulement une alliance avec la droite ‘souverainiste’ ( Dupont Aignan, Villepin,…) comme R.M. Jennar l’avait déjà proposé – mais carrément avec Le Pen. L’objectif dans ces cas là étant de rassembler les opposants à l’Euro et à l’Europe libérale, l’Europe des politiques ‘austéritaires’. De quoi est-ce qu’il retourne ? Quand ils disent : « nous allons faire alliance », il s’agit évidemment des partis qu’ils représentent ou qu’ils voient comme légitimes pour représenter le ‘peuple’. Des partis européens de cette mouvance sont conviés à se rencontrer et à prendre des initiatives. Alors que certains prennent l’initiative à la base, eux, à l’opposé, proposent des actions à l’assemblée européenne, des mots d’ordre politiques qui afficheront l’unité. Une unité entre les partis organisateurs. Vers quoi cela peut-il déboucher sinon une tendance politique supplémentaire de gauche dont l’objectif sera de changer la politique européenne …dans combien d’années ? Et avec quels avantages pour les populations qui devront croire en leur bonne foi en attendant qu’ils remportent la victoire au Parlement ?

Ceux qui préfèrent garder leur autonomie ne peuvent évidemment pas croire en cette option. La voie est plutôt à l’action collective sur le terrain partout où les problèmes de survie – mais aussi de vie – se posent. On ne peut pas imaginer que les populations se dirigent dans la voie de l’émancipation en restant scotchées à leurs dirigeants partisans. Si autonomie il doit y avoir il faut qu’elle se pratique dès aujourd’hui. Les populations soumises aux stratégies politico économiques des partis et des États (1) ne pourront accéder du jour au lendemain à l’autonomie sans être préalablement passées par une expérimentation de celle-ci – particulièrement dans un système politique qui s’y oppose. Raison pour laquelle les « collectifs » et « centres sociaux autogérés » en Grèce sont si précieux. Ils montrent des voies pour l’émancipation. En dehors de ce pays on a aussi des exemples avec la rébellion et l’autonomie au Chiapas, la lutte concrète à NDDL et la question de l’appropriation des ‘terres libérées’ par l’abandon de l’aéroport, etc…

Que nous montrent les ‘gauchistes’ radicaux ?

Il faut, disent-ils, négocier avec les européens sur la dette, dénoncer les politiques d’austérité et imposer des politiques qui ne malmènent pas les couches populaires. Il faut aussi une politique qui limite les dégâts de cette austérité maintenant qu’on a reculé et accepté celle-ci. (Actualisation après le recul de Syriza et l’abandon des objectifs premiers.) Etc.(2) Tout ceci est du ressort des gouvernements et non des populations. Ces politiques pourront soulager les populations (si elles réussissent) mais aucunement conduire à l’émancipation. Et c’est bien le problème central dont les partisans de la gauche radicale n’ont même pas idée : le but de l’émancipation – à force de le juger lointain – est maintenant complètement ‘oublié’ ( …a-t-il été envisagé et pensé un jour par la gauche ?) ; le seul horizon reste une gestion du capitalisme plutôt favorable aux intérêts des couches populaires, comme le disent les partis de gauche. Une politique …de gauche. A l’opposé, ceux qui luttent en conservant leur autonomie constatent qu’il n’y a pas d’opposition entre les intérêts immédiats – salaires, retraites, accessibilité aux soins, etc – et l’émancipation à long terme. Il est clair que les gens qui ont occupé leurs usines ont d’abord voulu survivre avec leur travail ; ce n’est que dans un deuxième temps et sans doute après beaucoup de discussions et de réflexions qu’ils ont décidé de faire redémarrer leurs usines et de changer la nature de leurs productions. Rien ne dit d’ailleurs que ce soit là le changement ultime et que d’autres remises en cause ne restent pas à faire. Car l’émancipaton ne peut se faire qu’en s’émancipant. Au lieu de cela Tsipras nous dit tout net : « Après réflexion, je reste convaincu que le choix le plus juste était de faire prévaloir la protection des couches populaires. » (*) La gauche protectrice.

La direction que prennent les ‘gauches radicales’ en Europe est donc celle des sociaux démocrates :

aucune perspective de mettre fin au capitalisme ni de prise en charge de la société par les gens eux-mêmes : il n’est question que de prise du pouvoir par des ‘oligarchies politiques’ qui sont censées devoir faire le bon choix… pour le peuple ! « Il faut donc que nous prenions des initiatives, dans le sens de grands changements, des réformes au contenu progressiste, qui vont changer le système politique, combattre la corruption, la fraude fiscale, les pratiques de l’oligarchie. Voilà les buts que doit se donner une politique progressiste et radicale pour notre pays. » (*) On a beau chercher : dans cette politique-là, on ne voit que la gestion du capitalisme. Quand ils parlent d’émancipation (ça arrive!) il ne s’agit que de mesures économiques ou politiques qu’ils auront soin d’édicter. Grèce manifestation soutien à Nikos Romanos
Ce qui a été dit clairement par Tsipras : la ligne rouge à ne pas franchir est celle de l’irruption que les dites couches populaires pourraient faire dans la vie sociale. Tsipras ne veut pas de plan B : « Le plan B de sortie de l’euro ne pouvait pas avoir lieu sans qu’il y ait des troubles et je n’ai pas été élu pour ça  » ; il craint des désordres… la boucle est bouclée : la peur panique dès que la perspective de voir les gens entrer en conflit avec le pouvoir existe. Il se met même en colère dès qu’on lui parle des exactions de ce qui est devenu SA police (*) envers ceux qui ont manifesté contre son revirement.

Comme le disait John Holloway dès 2013 on ne fera pas l’économie de « la construction patiente d’autres manières d’agir, la création de différentes formes de cohésion sociale et de soutiens mutuels. »

Ceci étant l’axe autour duquel toute initiative politique d’émancipation doit tourner. Ce n’est pas la cerise sur le gâteau comme l’assureront mordicus les politiciens de gauche, c’est la substance même du gâteau ! Et il poursuit, en éclairant le rapport à la violence : « Derrière le spectacle des banques grecques en feu repose un profond processus, le mouvement silencieux de ceux et celles qui refusent de payer les transports en commun, les factures d’électricité, les péages, les crédits… un mouvement émergeant de la nécessité et de la conviction, fait de personnes organisant leur vie différemment, créant de la solidarité et des réseaux d’alimentation, squattant des terres et des bâtiments vides, cultivant des jardins partagés, retournant à la campagne, tournant le dos aux politiciens – qui ont désormais peur de se montrer en public (3) – et inaugurant directement des formes de discussion et de prise de décisions sociales. » Que certains ( pensant que l’insurrection …vient !) aient la manie de la violence est un réel problème mais le fait est qu’on ne pourra pas avoir de refus de l’austérité et du monde qui va avec sans désordres, sans conflit, sans l’irruption des gens dans leur lieu de vie, leur travail, leur approvisionnement en nourriture, leur habitat, etc… Tout ceci existe déjà en Grèce bien qu’à l’état embryonnaire. Il reste à faire prospérer cette tendance. Et, à gauche, certains commencent d’ailleurs à le comprendre et à le dire (4). Reste à savoir comment ces gens – si habitués à leur rôle de dirigeants – envisagent un tel conflit. L’histoire regorge d’exemples où les ‘dirigeants révolutionnaires’ ont fini par durement réprimer toute velléité de révolution.

(*) http://cadtm.org/Alexis-Tsipras-Le-peuple-grec-a

(1) certains trouveront un peu réducteur de parler de la soumission des gens à leur parti (État) et diront que dans un parti (État) démocratique la décision est prise autant que possible collectivement. A cela, il suffit de rappeler que le gouvernement grec, après un referendum qu’il a lui-même organisé, a décidé d’accepter l’austérité alors que les gens ont voté contre à plus de 60 %. Les électeurs ont donc été soumis à la décision prise par une infime minorité d’élus.

(2) les gens de gauche se différencient sur un continuum linéaire qui va de la gauche à l’extrême gauche voir l’ultra gauche (on parle même du centre gauche) mais leur préoccupation reste la même. La différence d’appréciation, c’est que, pour certains, Tsipras aurait du (ou pu) aller plus loin. Mais faire autrement, autre chose, non !
On a eu la gauche de gauche avec Tsipras, on aura maintenant la gauche de …la gauche de gauche avec celui ou celle qui s’appropriera la politique que Tsipras a laissé tomber… Toujours pareil : celui-ci voudra faire dans le fond la même chose que la gauche qui a trahi. Sauf que, lui, ne devrait pas trahir !

(3) la parenthèse Tsipras n’aura finalement, dans la longue durée vers l’émancipation, servi qu’à remettre pendant un temps en selle le credo dans les politiciens de sa trempe.

(4) Antonis Ntavallos « Il est maintenant clair que ce programme ne peut être instauré que lorsqu’il est combiné avec une volonté de conflit, aussi bien face aux forces dominantes grecques et leurs institutions que face à l’UE, à la zone euro, au programme propre à l’euro. »

<<<<<<<<<<<<<<<<<<<< III >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

20 juillet 2015

« Nous ne voulons pas être méchants avec la Grèce. […] La Grèce doit devenir compétitive. Mais cela ne marchera que si le pays met en route des réformes profondes, et dès maintenant. »
Wolfgang Schäuble, ministre des finances allemand

Nous avons assisté à un élan d’enthousiasme populaire lors de l’accession au pouvoir de Syriza en Grèce. Les premières mesures prises par la ‘gauche radicale’ grecque [ c’est ainsi qu’on désigne ce parti désormais ] desserraient l’étau dans lequel la population était étranglée depuis des années et – ne serait-ce que pour cette raison – on ne pouvait que se réjouir de son arrivée aux commandes. Un coup d’arrêt bienvenu aux mesures d’austérité fixées et acceptées par le pouvoir précédent constitué de technocrates oints par la commission européenne. Dans un deuxième temps un véritable concert d’éloges s’ensuivit : « le courage et l’abnégation », « l’extrême habileté » de ses dirigeants alors que ceux-ci entraient dans le vif du sujet (selon eux) : renégocier la dette de la Grèce et obtenir un accord avec le pouvoir de l’Europe et du FMI afin de cesser de courir derrière un remboursement qui devait impliquer la mort lente des populations grecques – les plus démunies étant bien sûr les plus atteintes par les mesures d’austérité. Il faut dire que les européens [ allemands en tête ! ] étaient et restent à ce point crispés sur leurs positions que Tsipras et son ministre Varoufakis ont du en voir de toutes les couleurs avec leurs discours économiques ressassant les poncifs et refusant de voir les difficultés extrêmes et pourtant si évidentes qu’elles occasionnent au sein de la population grecque.

Pour autant on peut se poser quelques questions sur les objectifs du gouvernement Tsipras depuis qu’il est au pouvoir. Rappelons que ceux-ci étaient clairement affichés : il fallait obtenir un rééchelonnement de la dette afin de donner de l’air à la population et à l’économie grecque. Ce qui aurait permis à cette dernière de redémarrer et à la population de ne plus souffrir des restrictions en matière de santé publique, des baisses de salaires et des retraites, des suppressions d’emploi,… Depuis six mois on n’a pas été avare d’éloges chez les commentateurs se réclamant de cette ‘gauche radicale’ française ou grecque vis à vis de la pugnacité de Tsipras et Varoufakis. On ne voyait que les négociations en question. La vie s’était quasiment arrêtée en dehors de la table de négociation.
Puis vint le referendum et les cris d’admiration redoublèrent devant tant d’habileté. Malheureusement, il a fallu vite déchanter : le résultat des négociations reposait plus sur le bon vouloir des autorités allemandes que sur celui du peuple grec. La situation était bel et bien bloquée et Tsipras lui-même déclara qu’il avait surestimé le poids de son referendum gagné. C’est ainsi qu’il présenta les choses ensuite à son propre camp. “J’avais surestimé la puissance du juste droit d’un peuple” a déclaré Alexis Tsípras, interviewé par les journalistes de la télévision publique ERT, mardi 14 juillet. Le gouvernement grec ne croit donc pas à ces réformes imposées par les chefs d’État européens mais il n’a pas le choix alors il les met en place. [ L’objectif implicite étant qu’il faut de l’argent frais et que c’est le seul moyen d’en obtenir ] Le voilà donc maintenant dans la situation de gouverner avec les voix de droite, ceux qui ont voté sans état d’âme pour le memorandum et appuieront tout ce qui va dans ce sens alors qu’une partie significative de son propre parti a voté contre et ne l’appuiera pas dans sa politique. Situation pour le moins étrange… Affaire à suivre.
Et, comme si ça ne suffisait pas, les objections faites par la population sont réprimées par la même police que du temps de la droite technocratique au pouvoir. (2) Les policiers du gouvernement Tsipras sont aux portes du Parlement et marquent leur présence par des violences qui indignent jusqu’aux partisans du parti au pouvoir : « Des membres de la jeunesse SYRIZA (l’organisation s’est officiellement prononcée contre l’adoption du texte mémorandum dès cette semaine), ont dénoncé via la radio 105,5, la violence policière dont ils ont été les victimes. » (4)

Les commentateurs ‘radicaux’ ont donc reporté leurs faveurs sur cette ‘gauche de Syriza’ qui refusait d’avaliser l’accord signé avec la ‘Troïka’. Une large partie de la population et des militants du parti se refusent évidemment aujourd’hui à approuver la politique enclenchée par le gouvernement et qui va à l’encontre des objectifs initialement recherchés pour lesquels Tsipras disait avoir le mandat du peuple grec.

Alors quoi ? … « Que faire ? »

comme disait l’autre. Quand le doigt du peuple grec s’est dirigé vers la lune les différents analystes ‘radicaux’ n’ont cessé de regarder le doigt. Tant pis pour la lune !
La ‘gauche radicale’ reproche aux négociations d’être « le produit de la pression politique et économique, du chantage et de la violence » ! On peut leur répondre qu’il n’y a amais eu de négociations entre États qui se soient faites en dehors des contraintes que ceux-ci s’imposaient les uns aux autres. C’est comme ceux qui voudraient que l’économie soit limpide, transparente : Tonton Bernard Maris avait bien montré l’inconsistance de cette vision. Il n’y a pas de commerce si tout le monde doit tout savoir en même temps. Dans les négociations l’Allemagne a pesé de tout son poids, ses arguments n’en étaient pas, il s’agissait bien d’un rapport de force et c’est ainsi que se négocient les traités malgré les normes internationales qu’on n’ira pas chercher si on est le plus fort et que les plus faibles n’ont pas les moyens de faire valoir. En d’autres termes, la raison du plus fort a prévalu. Après avoir pensé que le recours à la ‘démocratie’ référendaire résoudrait le problème Tsípras a reconnu qu’il s’était trompé.

Que propose donc la gauche et que peut on en penser ?

Et particulièrement de ce fameux plan B dont il est maintenant question dans la gauche du parti au pouvoir ? La voie alternative serait donc de sortir de l’euro – ou même de l’Europe – alors que le maintien dans le cadre juridique de l’Europe était la priorité pour Tsípras. Il a fallu six mois de négociations pour s’apercevoir qu’aucun compromis satisfaisant ne pouvait être atteint avec les autres chefs d’Etat. Là encore on s’exprime sur l’initiative à prendre par le pouvoir. On entend vraiment très peu parler de l’initiative populaire sauf pour évoquer un mécontentement profond …qui pourrait dégénérer en colère et révolte ouverte. Sans plus de précision. Or, précisément, il conviendrait de faire le pas de coté nécessaire et de voir ce dont les populations elle-mêmes sont capables en dehors de déposer un bulletin de vote dans une urne. L’alternative, le plan B pourrait être là où la population le fabrique et pas où les gouvernements – même de la gauche radicale – l’élaborent. Il y a une radicalité qui ici n’a jamais sa place dans le discours de Syriza. Et cette différence tient – évidemment ! – à …ce qu’on veut changer dans ce monde !
Est-ce que le peuple grec est en attente d’autre chose que la collaboration avec la finance internationale ? Puisque c’est bien cette collaboration qui est à la base de toutes les négociations en cours et même à venir. Ou bien y a-t-il un élan vers une appropriation de tout ce qui lui échappe ? Plutôt que de critiquer l’Europe qui aurait bafoué la démocratie et l’aurait confisquée – faisant référence à on ne sait quel passé idyllique tout à fait introuvable – il serait sans doute préférable de partir de ce que ce peuple exprime comme ses besoins et ce qu’il peut et envisage de faire pour se rendre autonome et ne plus dépendre des autorités européennes …mais aussi grecques ! A moins de penser évidemment que l’on est dans le système politique le plus désirable (1) et que, finalement, à quelques changements près [ …lesquels ? ] on va pouvoir (re)trouver cette démocratie momentanément perdue.
un autre capitalisme Marianne_cr_cr
On peut commencer par considérer le contrôle de la production des ‘biens’. Des initiatives dans ce sens ont eu lieu en Grèce ces dernières années – et ce ne fut pas à l’initiative des syrizistes…! – il y a eu des cas non seulement d’autogestion d’entreprises laissées vacantes par leurs propriétaires mais réorientation de la production selon les besoins à satisfaire. Il faut encore noter ici que la maîtrise des moyens de production par les principaux intéressés n’a pas toujours la faveur de la ‘gauche radicale’, le gouvernement de ‘gauche radicale’ lui préférerait une gestion étatisée. Quand on parle de ‘gauche radicale’ il faut bien considérer le fossé existant entre les aspirations à l’autonomie de certains et l’objectif d’une étatisation généralisée voulue par d’autres, le mouvement populaire étant dans ce deuxième cas seulement un appoint nécessaire au pouvoir.

Est-il possible aujourd’hui d’amplifier ce mouvement encore très balbutiant ?

Ça pourrait bien être une question à se poser plutôt que de s’acharner à demander aux financiers européens et internationaux de remplir les caisses de l’État grec. Si les questions posées par Syriza qui ne cessent de tourner autour de l’aide financière occupent seules la tête des gens il est clair que le mouvement des appropriations ne pourra s’étendre. Seul le souci d’une autonomie peut porter les gens à amplifier le mouvement. Les positions du gouvernement de la ‘gauche radicale’ ne favorisent donc en rien un développement de ces initiatives à la base vers un changement qualitatif de la façon de définir et satisfaire les besoins. On a bien deux politiques divergentes. Et, pour ‘radicales’ qu’elles soient, les positions de nos analystes pro (gauche de) Syriza ne vont pas vers de tels objectifs. L’État grec devrait, selon eux, être conçu comme le gestionnaire du futur état de bien-être espéré. Le bien-être étant défini grosso modo comme ce qui se passait avant la crise [ on voudrait y croire à ce retour possible comme, en France, on serait tenté de croire à un retour aux Trente Glorieuses ] alors que ceux qui misent sur l’autonomie à construire ont conscience que …ça ne pourra plus être comme avant ! Les partisans de la gauche de Syriza, eux, prévoient des catastrophes ‘à la grecque’ pour les autres pays du sud de l’Europe. Et ces catastrophes ne pourraient être parées, selon eux, que par une accession au pouvoir du parti ‘éclairé’ de la ‘gauche radicale’ enfin retrouvé.

« Aucun retour en arrière n’est possible »,

disaient en tous cas certains il y a quelques mois de ça devant le désastre qu’ils vivaient en Grèce. La question est de savoir s’ils veulent et peuvent se préparer à faire quelque chose de neuf. Des situations de (ré)appropriation de plusieurs sortes ont eu lieu. Celles qui concernent les dispensaires sont assez connues. Quant à la production agricole, des cultures ont été entreprises sur des terres qui avaient été délaissées pendant les années où l’industrialisation et la division du travail à l’échelle européenne et mondiale a détruit l’agriculture traditionnelle en Grèce. Quelques circuits de distribution des denrées agricoles produites ont été mis en place par des collectifs. Tout ce qui a été fait l’a été hors des institutions de l’Etat et souvent contre elles. Les autorités de Samaras avaient interdit les distributions et même les ventes hors des circuits marchands patentés. Mais les distributions ont été faites. La solidarité est contagieuse car les gens ont compris dans tous les cas qu’ils ne s’en sortiraient pas tout seuls. Étendre ces sortes d’alternative qui s’ancrent dans la vie et pas dans la ‘politique’ serait sans doute aujourd’hui …le meilleur plan B possible. « Ils devraient dire la vérité aux Grecs, et surtout, élaborer et préparer un Plan-B, une véritable voie alternative… »(4) Mais encore une fois la solution que voit la gauche de Syriza est la poursuite de la (vraie) politique de Tsípras. Il n’est pas inutile de comprendre et peut-être d’élaborer des stratégies politiques mais l’expérience du gouvernement Tsípras aura bien montré que la conquête du pouvoir conduit parfois à l’impuissance – Et même très souvent pour ceux qui veulent changer quelque chose à l’ordre du monde.
Le plan B auquel pensent la gauche de Syriza est bien entendu de sortir de l’euro voire de l’Europe. Pourquoi pas ? Mais enfin le bouleversement serait tel qu’il y a ici matière à ce que les populations prennent les choses en main et dans ce cas les institutions s’avéreraient vite insuffisantes pour ‘gérer’ la situation (3). De sorte que le vrai plan B, ce serait bien celui qui conduirait les gens à prendre leurs affaires en main plus profondément sans doute que ce que pensent la ‘gauche radicale’. On verrait de cette façon si « les citoyens l’ont dépassé en résistance [Tsípras] et en détermination lors du référendum. »(4) car les citoyens se montrent parfois capables de changer le cours des choses, se (ré)approprier les moyens de production, les lieux publics, leur vie en général… et c’est ainsi que l’Histoire fait un saut. On ne peut dire qu’une chose aujourd’hui : on pourrait être en Grèce dans une situation propice à de tels événements.

Revenons sur les objectifs et les moyens de la gauche radicale. Dire que « ma meilleure amie politique… reste et demeura notre Constitution ! » (4), comme on peut le lire sur le blog de Panagiotis Grigoriou de la gauche de la ‘gauche radicale’, c’est vraiment se leurrer sur le sens des combats dans l’Histoire (5) et refuser de prendre la responsabilité de la rupture. C’est le retour à la case départ, la case Tsípras. Et en s’obstinant à donner des arguments là où il faudrait développer une force créatrice d’un monde nouveau on tourne en rond sans avoir rien appris des expériences passées. Car le pouvoir grec s’est heurté au mur à cause de cette conception ‘institutionnaliste’. Et la …gauche de ‘gauche radicale’ qui suivra en fera autant si elle reste dans cette voie. (6) L’expansion d’une attitude de rupture par rapport au système économique et social pourrait apporter des solutions. Mais des solutions qui restent pour l’instant sont totalement invisibles pour ceux qui sont aveugles dans cette direction.
Ajoutons qu’il n’y aura pas de grand soir cependant à attendre contrairement à ce que nous suggèrent les naïfs partisans de l’insurrection, tout ça ne peut que prendre du temps et sans doute quelques heurts avec les tenants du statu quo économique et institutionnel. Syriza compris. Il faudra sans doute que les grecs puissent conquérir des positions et les défendre avec une grande détermination et un rejet des solutions toutes faites du jeu politicien (7).
Non vraiment, ce n’est pas sur ce terrain miné de la politique qu’on pourra inverser la tendance et retrouver la trace d’une lutte vraiment émancipatrice. Car, si solution il y a, on ne voit pas par où passerait celle-ci sinon par l’exploration et la découverte des voies de l’autonomie…

(1) Le système représentatif, que l’on appelle d’une façon très impropre aujourd’hui la « démocratie » et comme l’avait remarquablement exposé B. Constant dès 1819, est lié à la généralisation d’une activité commerçante dans la société. C’est à dire l’expansion du capitalisme. Il paraît donc difficile de dépasser le système économique sans que les formes politiques associées subissent les modifications correspondantes.
(2) Note ajoutée le 8 oût 2015 > La répression des mouvements populaires hostiles à l’austérité imposée est maintenant assurée par le gouvernement Tsipras lui-même. Et sans ménagement. « Aujourd’hui, le 28 juillet, le procès des sept interpellés du 15 juillet a pris fin. Malgré l’instruction à charge et les multiples contradictions des policiers / témoins de l’accusation, seulement quatre des sept accusés ont été jugés non coupables, alors que les trois restants ont été condamnés avec une sévérité sans précédent… »
(3) Note ajoutée le 18 août 2015 > M. Raoul Marc Jennar dans sa claircvoyance habituelle nous apprend que  » tous ceux qui aspirent à une société plus démocratique, plus juste, plus humaine  » ont subi en Grèce une défaite historique, une de plus ! La gauche française est aussi impuissante à comprendre ce qui se passe en Grèce que la gauche espagnole qui ne voit que par les yeux de Podemos. Une société telle que la décrit Jennar, c’est le message fourre tout tout à fait consensuel. Pas un mot des préoccupations populaires ! toute la réflexion tourne autour des politiciens qui se débattent dans leur radicalisme gouvernemental.
(4) http://www.greekcrisis.fr/2015/07/Fr0449.html#deb
(5) tant mieux si cela peut aider en certaines circonstances que d’avoir la constitution avec soi. Ce n’est pas une aide négligeable mais loin d’être notre meilleure amie ce serait plutôt une …liaison dangereuse !
(6) Note ajoutée le 30 juillet 2015 >  Antonis Ntavanellos : « Nous devons aussi penser à l’importance d’une forme particulière [de] gouvernance, qui envisage le gouvernement de gauche, non plus comme un moyen pour la poursuite de la lutte pour le but proclamé, pour notre but fondateur, mais comme une fin en soi  ; même quand il nous conduit, ou il nous conduira rapidement, à nous trouver en conflit avec les intérêts et les besoins du monde du travail. » Dans les propos de ce militant et cadre de Syriza le constat est clair : le gouvernement de la gauche radicale est dans l’impasse totale. Il ajoute assez lucidement : « Il est maintenant clair que ce programme ne peut être instauré que lorsqu’il est combiné avec une volonté de conflit, aussi bien face aux forces dominantes grecques et leurs institutions que face à l’UE, à la zone euro, au programme propre à l’euro. » On est maintenant loin de la volonté de négociation et de conciliation avec la finance qui a prévalue pendant ces six derniers mois. Encore un effort… pour être révolutionnaire !
(7) En France, certains en viennent, pour soutenir Syriza, à chercher l’unité avec les politiciens les plus obstinément opposés à l’émancipation. Sous prétexte d’élargir l’action. …« syndicats, [le] front de Gauche, …certaines figures critiques du PS, »… mais aussi à « des personnalités d’autres bords tels Dominique de Villepin ou Nicolas Dupont-Aignan ». Un comble !

<<<<<<<<<<<<< IV >>>>>>>>>>>>

mars 2014

Ne vivons plus comme des esclaves

Le film  de Yannis Youlountas « Ne vivons plus comme des esclaves ! » a été projeté à Béziers dans la salle de la Cimade le 31 janvier 2014. La soirée était organisée par ATTAC.
On ne sait trop s’il faut louer la forme ou le fond pour ce film et il y a un grand intérêt à le voir. Le réalisateur a beau répéter qu’il n’avait aucune expérience de la création cinématographique, son film est vraiment bien fait : techniquement les plans s’enchaînent bien, le ‘scénario’ est bien construit ; avec de bonnes idées quant à la mise en œuvre de son sujet.

***

Venons-en au fond : il s’agissait de rendre au mieux les initiatives de résistance d’une partie du peuple grec face à la domination et la spoliation qu’il subit en ce moment. Dommage pour ceux qui tenaient à entendre des propos virulents contre la finance internationale, ce n’était pas le sujet du film.
Tout d’abord : le constat. Facile, malheureusement. Faute de logis nombre de gens dorment dans la rue à même les trottoirs ; les trains qui ne roulent pas la nuit sont un refuge pour beaucoup d’autres qui n’ont pas non plus où aller la nuit pour dormir. « La Grèce ne ressemble plus à un pays d’Europe » dira un des protagonistes dans le film. Effectivement – même si en France aussi nous assistons (mais depuis trente ans) à une croissance affolante du nombre de sans abris – en Grèce où il y a maintenant 50% de chômeurs, les salaires ont chuté du jour au lendemain de moitié. Les allocations chômage ne durent pas et quand on ne les touche plus on n’a même plus droit à la sécu. D’où la nécessité de ces dispensaires gratuits qu’on nous montre dans le film. C’est ce qu’ont compris les « résistants » qui s’organisent pour les mettre en place.
Ne vivons plus sommeil dans le train
Venons-en maintenant aux initiatives de cette partie de la population qui prend son existence en main pour pallier aux ‘défaillances’ du système. De la coopérative ouvrière où les ouvriers ont repris depuis 2011 l’usine abandonnée par le patron on sait que les réseaux autogérés de distribution ont fourni l’aide nécessaire pour que les ouvriers – nouveaux producteurs – puissent diffuser les produits qu’ils fabriquent. Dans ces usines on ne produit plus la même chose. Et pas non plus de la même façon. On utilise des procédés moins polluants et le travail y est moins absorbant. La question n’était donc pas seulement de se réapproprier les moyens de production – la vulgate marxiste – mais bien de changer la vie des gens qui y travaillent. Moins de labeur et plus de bonheur. Ces réseaux autogérés qui relient toutes les initiatives fleurissent un peu partout : du Péloponèse au sud à la Chalcidique au nord. L’île d’Eubée étant un des endroits qui accueille le plus de « nouveaux paysans ». Ceux-ci, faute de trouver de quoi subsister en ville, ont pris l’initiative de retourner à la terre nourricière pour y faire pousser – mais d’une façon tout ce qu’il y a de non conventionnelle – leurs légumes et autres arbres fruitiers.
Il faut souligner que toutes ces initiatives s’accompagnent de l’indispensable solidarité avec ceux qui n’ont pas trouvé d’alternative à leur gagne-pain perdu, parce qu’ils n’en ont soit plus l’âge soit, tout simplement, plus la force. Les multiples organisations de résistance organisent des distributions gratuites de repas pour permettre à ces derniers d’amortir un peu la misère qui s’est abattue brusquement sur eux.

Au delà, cette gratuité permet de remettre un peu dans les têtes que tout ne s’achète pas, que l’État n’est pas la seule instance qui peut assurer la population quand rien ne va. Cet Etat qui, du reste, fait défaut depuis quelques années, trop occupé à sauver les banques. Dans ces réseaux des gens de tous âges – mais surtout des jeunes – s’activent, agissent et réfléchissent. Quel que soit le type d’activité tous ces gens ne se contentent pas de créer une alternative ici et maintenant mais réfléchissent à …un autre monde, à …la suite. Manifestement, pour eux, le système est épuisé ; la vie d’avant – quand le capitalisme pourvoyait aux besoins élémentaires – est terminée. Irrémédiablement. Il ne s’agit donc pas de « faire évoluer les choses » comme on l’entend parfois en France mais de changer radicalement le monde qui nous est fait.
Ne vivons plus Gorz
On n’insistera jamais assez sur le fait que les actions sont toujours accompagnées de réflexions sur les perspectives : non pas les échéances ‘politiques’ – il ne s’agit pas de construire le Parti, le bon ! d’entrer dans le jeu politique avec ses polémiques sur les institutions. De faire élire son parti aux élections. La majeure partie de ces contestataires hisse le drapeau noir et rouge des anarchistes. On en voit d’ailleurs beaucoup dans le film. Il s’agit pour eux d’inventer, de (re)découvrir une façon de vivre ensemble, de satisfaire ses besoins essentiels, de faire le tri entre les ‘besoins réels’ et les ‘besoins superflus’. Ce sont les thèmes de mai 68 – comme la critique du consumérisme – qui reviennent. Avec les indispensables actualisations comme la critique de la société industrielle et son lot de destruction en tous genres.
Car la question lancinante est : que faire et comment faire pour arriver à s’en sortir collectivement ? Par le haut bien sûr. Il ne s’agit aucunement de s’adapter au capitalisme mortifère ; encore moins à la misère. Et pas non plus de construire un autre capitalisme – à visage humain ? – qui, selon certains, serait possible. La réponse est clairement que la lutte contre le capitalisme est engagée. Avec une idée qu’un changement de paradigme doit se faire. On ne peut plus « vivre comme des esclaves. ». Le mot est dit. Cela passe par la conquête d’un ‘imaginaire’ qui, comme le dit Y. Youlountas, (ré)générera des désirs de vivre autrement ; la volonté de parvenir aux changements immenses qui sont nécessaires.  » Il n’y a pas de critique sociale qui ne soit pas  solidaire d’une sensibilité réfractaire au monde tel qu’il ne va pas  » comme dit C. Biagini dans la préface du livre « Radicalité ».

Notons que la dénonciation de la course à la consommation est au premier rang des préoccupations : le monde capitaliste est basé sur l’hyperconsommation de marchandises de plus en plus dérisoires et les réseaux résistants mènent des actions pour mettre cela en évidence. Il s’agit d’éviter des tentations tenaces dans un pays où, contrairement à la France, la « société de consommation » n’est pas  si ancienne. Ainsi on met en place des friperies où l’on peut prendre les vêtements dont on a besoin. Sans rien payer … Histoire de bien comprendre qu’acheter et acheter encore ne remplit pas la vie. En passant, la manipulation publicitaire qui induit et entretient la boulimie de la consommation est la cible des révolutionnaires. Détournement de panneaux publicitaires. Inscriptions sur les murs. La télévision fait l’objet d’une critique particulière : on dit qu’en Grèce un nombre croissant de gens se défont de cet instrument abrutissant. C’est de bon augure ! En même temps, des groupes d’information mettent sur pied des stations de radio et des sites internet pour rendre compte au mieux de ce qui se passe.

La lutte contre le fascisme – et son représentant : l’Aube dorée – qui se répand ces derniers temps dans le pays occupe beaucoup les esprits car le péril est grand face à ces gens agressifs qui n’hésitent pas à mettre à sac un dispensaire gratuit. Parfois de concert avec la police ils ont le bras long et même le bras armé. Il faut donc engager une lutte physique contre ces groupes qui peuvent être assez nombreux. La lutte a tourné dernièrement à l’avantage des révolutionnaires qui avaient organisé efficacement la défense de leurs lieux de réunion, nous dit un homme dans le film ; une partie de la population leur est venue en aide au moment de l’attaque. Mais ce n’est pas toujours le cas.

***

Le film nous dit tout ça et le dit très bien. Après le film une discussion fut entamée avec le public. Les spectateurs présents ont pu poser des questions et émettre des avis à la fois sur le film et sur la situation en Grèce. De toute évidence le film en a surpris plus d’un. Certains ont découvert avec plaisir un monde auquel ils n’avaient pas songé. Pour d’autres, un monde qu’ils espéraient bien mais qu’ils désespéraient de voir venir un jour. Pour une autre catégorie par contre, n’ayant jamais l’idée de sortir du capitalisme et ne voulant en aucun cas qu’il en soit émis même l’idée, il y a eu une réaction de rejet. Clairement. On a parfois pu entendre, par exemple, que dans le film manquait l’« analyse de ce qui est en cause dans la dégradation sociale et politique que connaît la Grèce » ; en quelque sorte, il manquait l’analyse des causes profondes de la « crise grecque ». Il a été reproché au film de ne pas s’épancher sur le problème au travers d’analyses économiques, de rapports de force entre des partis politiques. La réalité des choses selon cet intervenant ? la dette de l’Etat grec. Dans cette catégorie quelqu’un évoquera l’inefficacité de la fonction publique en Grèce. L’« absence de cadastre » (sic) pour certain, le clergé omnipotent, les effectifs pléthoriques dans la fonction publique, etc. La vie pour ceux-là n’étant qu’une conséquence des options prises par les politiques menées par les Etats (1). Bref, le discours habituel du spectateur moyen de journal télévisé. Version …de gauche ! Le réalisateur dut passer de longs moments et s’impliquer avec beaucoup d’énergie pour démonter certaines affirmations ‘de comptoir’. Tout particulièrement celle dont se repaît le stalinien de service : Le « rôle destructeur du monde de la finance, organisé au plan européen ». Pour Yannis Y. la crise de la dette pourrait être une « vue de l’esprit » : en clair, c’est un bout d’explication des mesures prises par la Troïka (un membre de la BCE, un du FMI et un de la CE ) ce qui est déjà quelque chose …mais rien de plus.
On pourrait ajouter ce qui échappe si on en reste à cette vision des choses : la dette de l’État grec s’élève à tant de % du PIB, qu’est ce que ça veut dire dans la vie d’un humain ? peu de chose. C’est bien là que réside l’aliénation totale : que notre vie dépende d’indices aussi abstraits et aussi éloignés de notre quotidien prouve à quel point nous sommes (dé)possédés par le capitalisme. Et quelle force il faudrait pour s’en défaire ! Au Moyen Age la vie des hommes étaient hantée par la recherche lancinante de leur « Salut », et on se demande aujourd’hui comment il fut possible de baser sa vie sur chose aussi fragile ; en tous cas, chose à laquelle aujourd’hui plus grand monde ne croit. Quand nous étonnerons-nous de ce souci de trouver toutes les explications concernant notre existence dans l’économie et la politique, la croissance et l’État ?

PM-pas-moralisation-capitalisme
Bien des gens l’ont dit dans le film : le problème, c’est le capitalisme. Compris non seulement comme un système économique mais comme une civilisation. Et aujourd’hui il faut trouver le remède : comment subvertir le monde tel qu’il est et tel qu’il ne va pas. Comme les prêtres grecs exhortent la population à courber l’échine en attendant des jours meilleurs les politiques nous rabâchent qu’il faut expliquer la ‘dette inique’ et comment les politiciens (de droite) ont vendu la Grèce …C’est leur faute à eux – puisqu’on vous le dit ! Toutes les explications ont certes du vrai mais quand le doigt montre la lune ces gens regardent le doigt au lieu de regarder la lune. Dire que le problème c’est la dette induit qu’il faut s’attacher à diminuer cette dette – si on dit que c’est l’Etat qui est mal organisé on voudra l’organiser avec plus d’efficacité – mais dans ce cas on est loin du mal être global que ressentent et auquel veulent mettre fin les révolutionnaires grecs d’aujourd’hui. On lui tourne même le dos.
L’essentiel est donc ailleurs. Le réalisateur l’avait dit dès la présentation : nous nous sommes attachés à montrer les tentatives révolutionnaires, il ne s’agit pas dans le film de donner une analyse et des explications à la crise mais de montrer ceux qui essaient de trouver une issue à celle-ci (ce qui ne veut pas dire que les explications et les analyses n’existent pas mais elles viennent dans le mouvement de remise en cause pratique (2). C’est ce qu’on entend dire par tous les « acteurs » tout au long du film) Car la préoccupation de tous ces jeunes (et moins jeunes) révolutionnaires, c’est de s’en sortir …de tout ça ! Il est vrai qu’en France une frange importante de ceux qui s’indignent du sort fait aux grecs ne verrait rien de mieux que le retour de l’État social – le vrai – celui du compromis entre les capitalistes et les syndicats, celui des années 50 en France. Où on a pu partager une part des bénéfices de la croissance et où l’État omnipotent gérait le tout. Or, l’heure est manifestement pour certains grecs – ceux qui ont fait une ‘croix’ sur le capitalisme, qui pensent aujourd’hui qu’il n’y a plus de retour possible au « capitalisme plan plan » d’où ils viennent de sortir – de trouver …une autre voie ! Puisque le capitalisme est le problème, il faut donc en finir avec lui. Et toute la réflexion revient à trouver les moyens pour parvenir à cette fin.

Dans cette optique on retrouve la nécessité – pour avancer vers une autre société – de (ré)inventer un imaginaire qui échappe au capitalisme… Et dans l’état où nous sommes on doit constater que la tâche est immense.
Se détacher d’une conception linéaire du progrès qui nous fait toujours penser, par exemple, que c’est en accumulant les « progrès techniques et économiques » qu’on finira par atteindre un « progrès social ». Comme si le lien entre les deux était aujourd’hui tel qu’il apparaissait aux révolutionnaires du XIX° siècle… comme si le complexe techno-scientifique n’avait pas aujourd’hui assez montré son caractère propre : il ne peut y avoir de socialisme (au sens originel du terme bien sûr) au bout de la croissance économique car les deux sont antinomiques. La course à l’innovation technologique aboutit à une dépossession de plus en plus grande de nos vies et à un assujettissement complet à la logique du capital. Quand ils essaient, par exemple, de nous faire croire qu’il faut investir dans la recherche pour guérir le cancer – et que c’est grâce à la technique qu’on parviendra à vaincre la maladie – ils omettent bien sûr de nous dire que depuis des années nous créons ces cancers notamment avec l’artificialisation, l’industrialisation de l’agriculture. Nous mangeons, nous buvons, nous respirons des produits cancérigènes. Les éviter serait la première des nécessités mais le capitalisme préfère faire le mal pour ensuite (essayer de) le guérir (peut-être !) car dans ce mécanisme … il y a de la croissance. Comme disait Sarko dans ses heures de gloire, dans l’écologie « il y a un formidable réservoir de croissance ». C’est tout ce qu’il y voit !

Réinventer le rapport à la politique : tout le monde (ou presque) se réclame aujourd’hui de la ‘démocratie’ mais de quoi s’agit-il ? dans sa version actuelle c’est la ‘représentation’ (théâtrale) par une troupe de professionnels (du spectacle) qui ont fabriqué une sphère autonome de la politique dans laquelle plus aucun esprit ordinaire ne peut avoir accès… en clair : aujourd’hui on peut mariner dans le jus (le jeu, si ça amuse !) politicien sans avancer du tout vers l’abolition du capitalisme. Il faudrait sentir comme insupportable cette alternance gauche-droite où rien d’autre ne se joue que le pouvoir de ceux qui seront élus. Et il serait opportun d’aller vers une sorte d’ « éducation sentimentale » (3) afin que ce sentiment soit le plus répandu possible. Si le mouvement révolutionnaire est allé si loin dans les années 30 en Espagne ce n’est pas seulement parce que la conscience révolutionnaire était plus avancée et plus diffuse qu’elle n’a jamais été mais surtout parce que le ‘goût’ pour les actes révolutionnaires était très répandu. Beaucoup de gens passaient à l’acte. Anne Steiner évoque dans son livre le « goût de l’émeute » qu’avaient les ouvriers français au début du XX° siècle avant que la guerre puis le le rouleau compresseur du stalinisme et enfin le consumérisme ne viennent calmer tout cela… jusqu’en mai 68. Il s’agit de (res)sentir que certaines situations sont insupportables ; et de faire tout ce qu’on peut pour y mettre fin si c’est possible ou, au moins, en diminuer les impacts sur nos vies. Et de s’y impliquer y compris physiquement (4). Il ne s’agit pas seulement d’avoir la force de traduire dans les actes ce que la théorie a pu mettre en place intellectuellement, il s’agit surtout de ne pas régler sa sensibilité sur celle du producteur consommateur (5)

ne vivons plus comme des esclaves

***

La partie est loin d’être gagnée – en Grèce comme ailleurs – même si on a pu constater dans le film que là bas il y a des gens assez nombreux pour ne plus vouloir « vivre comme des esclaves » (6) ! Il n’en reste pas moins que le chemin risque d’être long mais, ô combien passionnant, avant qu’on puisse trouver une belle issue à cette civilisation en perdition qu’est le capitalisme.

*************

(1) Elle est cela certes, et malheureusement. Mais elle est aussi ce qu’on en fait. Et l’incapacité pratique à changer quoi que ce soit, à se rendre compte des agressions qu’on subit et à réagir à celles-ci est aussi en cause. Il est toujours des gens pour penser que si le monde est tel qu’il est …ils n’y sont bien sûr pour rien ! La résignation dans laquelle ils vivent en permanence leur est tout-à-fait inaccessible, ils ne la voient pas car ils n’ont aucune idée de la façon dont le capitalisme nous agresse !
 » Il eût fallu ne pas bouger un orteil. Il eût fallu défiler sagement de Bastille à Nation, avant de rentrer se coucher devant la télé. Seulement, nous ne voulions pas. Nous voulions l’affrontement avec ce monde. Et si nous n’avions pas assumé le conflit, y compris sous ses formes violentes, ces années comprises entre 1968 et 1981 n’auraient jamais permis de dégager de nouvelles visions du monde, dont celle de l’écologie. La violence de ce temps disparu exprimait la profondeur du dissensus. En effet, il y avait eux, et nous.  »    Fabrice Nicollino

(2) A l’inverse certains voudraient se contenter de rapetasser « ce qui ne va pas » dans le monde tel qu’il est. Un capitalisme à améliorer en quelque sorte.

(3) L’absurdité du système capitaliste n’est pas qu’affaire de compréhension et d’explication, c’est aussi une simple question de sensibilité. Le système est logique comme est logique la nécessité du gladiateur de tuer son adversaire sinon il est lui-même tué, de même le patron devra pressurer ses salariés sinon il va à la faillite et le ministre du redressement productiviste devra extraire du minerai et pourrir ainsi la Terre entière sous peine de ne plus atteindre son objectif de produire. C’est bien la situation imposée qui est absurde. Et, face à cela, ce ne sont pas les explications qui primeront ici mais le rejet qu’on a de toute cette logique en œuvre dans le capitalisme. John Maynard Keynes donnait cet exemple: « Si la trésorerie était disposée à emplir de billets de banque des vieilles bouteilles, à les enfouir à des profondeurs convenables dans des mines désaffectées qui seraient ensuite comblées avec des détritus urbains et à autoriser l’entreprise privée à extraire de nouveau les billets suivant les principes éprouvés du laisser-faire, le chômage pourrait disparaître et compte tenu des répercussions, il est probable que le revenu réel de la communauté de même que sa richesse en capital seraient sensiblement plus élevés qu’ils ne le sont réellement. A vrai dire, il serait plus sensé de construire des maisons ou autre chose d’utile ; mais si des difficultés politiques et pratiques s’y opposent le moyen précédent vaut encore mieux que rien ». Cité par Anselm Jappe

(4) «On ne résout pas les problèmes avec l’état d’esprit qui les a créés », disait Einstein.

(5) « Vivre au-delà des lois qui asservissent, au-delà des règles étroites, même au-delà des théories formulées pour les générations à venir. La vie sans croire dans le paradis terrestre. Vivre pour l’heure présente au-delà du mirage de sociétés futures. Vivre et sentir l’existence dans le plaisir féroce de la guerre sociale. C’est plus qu’un état d’esprit : c’est une façon d’être, et immédiatement. » Zo D’Axa.

(6)  La citation vient d’une pièce de jean Genet : Les Bonnes. Et elle a été souvent reprise en Grèce ces derniers temps comme un encouragement à la révolte.