10/06/2018

Le procès des faucheurs a finalement eu lieu le mercredi 6 juin 2018 à Béziers. Ces derniers sont accusés d’avoir dégradé des marchandises dans un magasin Bricomarché de Pézenas dans l’Hérault en 2016. Ils ont en effet peint – en noir et rouge ! note la présidente – des bidons de glyphosate pour les rendre impropre à la vente. Cette action se déroulait dans le cadre d’une action nationale contre le Roundup et son fabricant Monsanto. Dans la plupart des cas il n’y a pas eu procès. Celui de Béziers n’est pas le premier, il y en a eu 4 sur ces actions-là qui se sont déroulés pendant la même période à plusieurs endroits : à Privas, Foix, Guingamp et Lorient ; C’est donc le 5° procès de « faucheurs » contre le glyphosate et il était normal qu’une stratégie identique soit mise en œuvre à chaque fois. Il fallait d’abord faire entendre les motivations de ces actes bien sûr. Ça tombe sous le sens. Mais, ici comme dans les quatre autres, l’avocat des faucheurs a posé en préalable une ‘question préjudicielle à la Cour de justice européenne’. De quoi s’agit-il ?

On a longuement évoqué dans la presse ces dernières années la collusion des services d’homologation des pesticides et des multinationales qui les produisent. La suspicion d’irrégularités est très grande. Plusieurs témoins cités à comparaître à Béziers l’ont rappelé : les agences reprennent des pages entières des rapports de Monsanto qui ‘prouvent’ – façon de parler ! – l’innocuité de ses herbicides à base de glyphosate. Il fut rappelé aussi les éléments portés contre le glyphosate par des équipes de chercheurs dont celle de M. Séralini. À chaque fois, la machine de guerre – pardon, de communication ! – de Monsanto s’est mise en marche pour les dénigrer. Sans jamais qu’on puisse prendre connaissance du fond des recherches que la compagnie a effectuées. En effet, le secret commercial empêche d’aller y mettre les yeux. La firme a rendu public le résultat rapidement étayé qui mettait en évidence bien sûr que le pesticide en question ne posait aucun problème particulier. Un réseau de faits concordaient pourtant à incriminer la firme productrice pour falsification de la réalité. Et le nombre de faits allant dans ce sens s’accumulent avec le temps. En particulier, le fait que les analyses qu’ils ont faites ne portainet que sur la substance dite active du Round Up, c’est à dire le glyphosate alors que les additifs qui le rendent plus efficace sont eux aussi très nocif. Mais la directive européenne REACH n’impose pas que ceux-ci fassent l’objet d’analyse particulière de la nocivité. D’où la nécessité de mettre en évidence ces problèmes qui s’accumulent sur les bancs de l’Assemblée Européenne – qui doute de plus en plus de la validité des analyses faites par les organismes de l’Europe – mais aussi dans les prétoires où cette question de la pertinence des homologations est en permanence questionnée.

Détail promis à un certain avenir : beaucoup des faucheurs étaient arrivés au tribunal avec un tricot blanc sur lequel était indiqué le taux de glyphosate repéré dans leur sang ; on arrive à 30 fois la dose permise dans l’eau dite potable ! Pour un produit non invasif …on peut faire mieux ! Certains parmi les faucheurs diront que le glyphosate se répand d’une manière catastrophique partout dans l’environnement ; et aussi chez les humains bien entendu. « La situation était difficile, maintenant la catastrophe est là ! » dira l’un d’eux. Et, malgré ça, on continue à tergiverser dans les sphères où l’on devrait décider d’interdire ces pesticides.

Il convient de rappeler ici qu’il n’y a pas que la firme Monsanto qui défende l’usage du glyphosate. Les syndicats agricoles dominants, représentant les agriculteurs eux-mêmes, font partie des soutiens les plus actifs. L’agriculture industrielle se défend contre l’interdiction des herbicides qui irait contre ses intérêts. Ces gens-là sont les premiers à subir les méfaits des herbicides mais continuent à en promouvoir l’usage car il est constitutif de leur manière de pratiquer l’agriculture. Y a-t-il meilleure illustration de l’impasse que vit notre monde aujourd’hui ? Nous allons dans le mur et nous ne voulons pas changer de direction. L’addiction au mode de vie industriel est patente chez les agriculteurs de la FNSEA par exemple. La voie de salut pour eux est de produire plus et de s’insérer toujours plus dans un marché mondialisé, on comprend qu’ils soient poussés dans ce sens par un système qui ne fonctionne que par ce biais mais même quand le risque de maladies graves pour eux et pour un public de plus en plus large existe ils ne reculent ni ne se remettent en question.

Retournons à notre tribunal. Pour noter à nouveau que, sur une vingtaine d’interventions du même type qui ont eu lieu en France, la plupart n’ont pas eu de suite au tribunal. Sur celles qui l’ont été deux des tribunaux ont envoyés la même question préjudicielle devant la Cour européenne. Ce qui est tout de même intéressant car il faudra bien que cette Cour Européenne réponde aux questions posées. Combien de temps tout cela durera avant que ces réponses ne parviennent ? Et surtout qu’on en tire les conséquences. M. le procureur qui nous indiqua dans sa plaidoirie les voies de salut au travers d’actions judiciaires ne pourra pas répondre à cette angoissante question mais on peut être sûr que le délai n’a aucune chance de s’accorder avec l’urgence de la situation.

Pas de doute dans cette affaire, tous peuvent s’accorder, même les journalistes les plus obtus : les politiciens nous jouent des partitions incompréhensibles au mieux, très sournoises au pire. Les ‘prévenus’ nous rappellent d’ailleurs que c’est Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement, qui avait incité la société civile à passer à l’action puisque les lobbies bloquaient les évolutions politiques sur l’usage des herbicides. – Que ne l’a-t-elle fait elle-même du reste ! * Il aurait été amusant de la voir à l’œuvre… – Il est évident que les politiciens ont tendance à envoyer les gens au casse-pipe et à rester douillettement en attente du résultat des actions des autres. Politiciens d’un côté, ‘activistes’ de l’autre : distribution des rôles. Il semble tout de même que la politique montrait là une carence assez gigantesque. Ainsi donc, des gens élus et d’autres désignés comme ministres par les premiers ne pouvaient pas mettre en œuvre une politique (…correspondant aux vœux de leurs mandants ?). Diable, mais c’est tout le contraire de ce qui nous est expliqué quotidiennement sur le régime démocratique qui est le nôtre ! Les politiciens nous mentiraient-ils ?

La démocratie ne serait pas le pouvoir du peuple que l’on nous dit ? il y aurait donc un pouvoir qui le supplanterait au point que les citoyens auraient de quoi être frustrés durablement dans leurs aspirations. Eh bien oui, les faits sont là : rien ne peut être fait contre ce glyphosate et ce depuis des années ! On nous dit et redit qu’il va être interdit mais rien ne vient. De changement d’avis (l’Allemagne de Merkel a complètement viré de bord sur le sujet passant de l’interdiction à l’autorisation) en sempiternels reports de la date d’interdiction, on en est toujours à attendre cette interdiction prévue il y a des années déjà. Malgré tous les dégâts évidents que l’on constate.

Un paysan du Tarn et Garonne atteint de maladie de Parkinson vint témoigner à la barre : une preuve vivante **. C’est ce que les ‘prévenus’ ont expliqué longuement, l’un après l’autre.

Alors que faire ? Évidemment, le procureur en restera à qualifier les ‘prévenus’ de délinquants. Mais qui peut croire des choses pareilles ? Il nous sort – pour défendre sa boutique – sa panoplie d’actions juridiques et de recours que les faucheurs auraient dû tenter avant de …passer à l’action et de verser dans l’illégalité. Ce monsieur ne se demande pas d’ailleurs si tout ça n’a pas déjà été fait. Par d’autres. Toutes les actions et recours en justice ont eu lieu. Il y a des professionnels de ce genre d’intervention. Ceux-là y croyaient (peut-être) et ils ont été déçus. Ça n’a abouti à rien et on les entend le dire dans les médias ! M. le procureur resterait-il devant la « maison qui brûle » *** sans intervenir personnellement puisque la règle est d’attendre les pompiers (les vaches seront bien gardées !) ? ou bien irait-il sauver ce qui peut l’être de cette maison ? On voit bien que cette attitude de prendre garde à utiliser les outils du droit (qui n’est pas fondamentalement imbécile bien sûr) montre ici que ceux qui entrent systématiquement dans cette logique n’ont ni le sentiment de l’urgence ni celui de la catastrophe qui se déroule.

Quelqu’un avait dit pendant la conférence de presse la veille à la Cimade que, si le glyphosate était interdit, une multitude d’autres produits étaient là pour prendre la relève. Certes, mais il faut du temps pour que Monsanto et les autres puisse gérer cette transition. Les enjeux financiers sont tels qu’ils n’y renonceront que contraints et forcés. Nous y sommes et ils n’ont pas l’intention de se presser à engager la transition vers un autre herbicide, ils ont encore beaucoup d’argent à gagner avec celui-ci – le round Up dont le principe actif est censé être le glyphosate. Et d’énormes moyens à faire valoir pour faire durer encore longtemps la durée de validité de leurs produits.

L’alternative à l’attente était donc l’action symbolique de (…non pas détruire des bidons mais de) les rendre invendables au moins pendant un certain temps (puisqu’il semble qu’ils aient été finalement soldés par la suite d’après un témoin cité au tribunal !). Nos faucheurs volontaires se sont finalement engagés dans une voie qui, pour n’être pas légale, reste, quoi qu’en dise le procureur, non violente ! Nul n’a été molesté, au contraire les faucheurs avaient consacré une bonne part de leur énergie à converser avec les employés et les clients qui n’avaient assurément pas l’habitude de ce genre d’intervention sur leur lieu de travail pour les uns ou de consommation pour les autres. On comprend d’ailleurs la réaction de certains d’entre eux à qui on tanne le cuir toute la journée pour ranger les produits à la vente quand les « faucheurs » viennent tout mettre par terre leur travail quotidien. C’était forcément un moment délicat. Que les « faucheurs » avaient d’ailleurs prévu. Il fallut expliquer le sens de l’action aux gens présents : employés et clients. Et certains ont écouté les explications, d’autres plus en colère n’en ont pas voulu. Ce qui n’empêchera pas le procureur de qualifier de violence le simple fait de mettre une bâche par terre et de peindre des bidons devant les airs abasourdis ou les humeurs excitées de certains employés du magasin.

Il y a là un certain abus de langage. Bien entendu, la violence verbale ou symbolique, ça existe ! mais il faut tout de même faire un distinguo entre la violence qui est physique – même racine que viol – et les violences verbales qui ont tout de même une autre dimension. Mettre tout dans le même sac est bien sûr très commode pour le pouvoir ces derniers temps afin de parler de violence dans des situations où il n’y en a pas !… et dénoncer pèle mêle tous les opposants. La violence du pouvoir, par contre, qui est bien plus organisée et terrifiante est, elle, passée sous silence. N’y a-t-il pas une différence fondamentale entre les terroristes islamistes en action en ce moment, les zadistes de NDDL et les faucheurs volontaires ? La violence du terrorisme ne fait aucun doute et dans ce cas fait figure d’atrocité, celle des zadistes existe bien sûr mais n’a strictement rien à voir. Ils n’ont jamais fait que défendre bec et ongles la terre sur laquelle ils s’étaient incrusté et ont employé des moyens bien plus inoffensifs que les policiers venus les déloger. Peut-on parler de violence pour les faucheurs ? Dire cela est simplement de la falsification des faits. Le même mot de violence ne doit pas conduire à un amalgame trompeur. N’est-ce pas une tactique efficace de notre procureur ici – et de l’État en général – d’utiliser le terme de ‘violence’ tous azimuts pour faire penser à d’autres situations qualitativement très différentes en utilisant le même terme fourre-tout. Et confondre ainsi tout dans la même opprobre.

Venons-en aux faits qui avaient conduit les faucheurs devant le tribunal, au délit lui-même : avoir peinturluré la propriété d’autrui sans son accord et rendu inapte à la vente ces bidons, c’est là, le délit répréhensible. L’avocat des parties civiles (c’est à dire du gérant du bricomarché) essaie de faire croire en vain que les faucheurs sont des délinquants qui sont allés jusqu’à voler la bâche utilisée dans le magasin. Il n’en a aucune preuve. Une faucheuse dira que c’est elle-même qui l’a achetée la veille mais qu’elle n’a pas conservé le ticket de caisse. Il tentera, comme c’est son rôle, de s’en tenir à ce que la loi défend ici : la propriété privée des bidons de glyphosate. Et finira par demander le remboursement du coût des bidons par les faucheurs. Détail amusant : il demanda le remboursement au prix ‘client’ et non au prix d’achat. Comme si le magasin voulait gagner sur tous les tableaux. En vendant ses bidons aux faucheurs en quelque sorte ! l’avocat de la défense mettra en évidence la supercherie.

Toujours est-il que la volonté de réduire tout ceci à un vulgaire larcin de ‘droit commun’, dira le procureur, a été constante. De la part de la partie civile mais surtout du procureur. Quelle image donnez-vous à vos enfants ? dira-t-il en reprenant les termes utilisés par plusieurs faucheurs. Est-ce que cette intervention illégale est un bel exemple ? Pour lui qui fait office de justicier, s’en tenir à la lettre de la loi sembla à beaucoup complètement déplacé. Comment ne pas entendre les motivations des ‘prévenus’ ? Il a dit qu’il les entendait. Certes, mais surtout comment ne pas entendre l’absence de possibilités d’en sortir, le véritable cul de sac dans lequel nous plonge les politiciens et leurs petits amis des multinationales ? Cela, il ne l’entend manifestement pas. Il y a bien une impossibilité essentielle à sa fonction de comprendre qu’on puisse transgresser la loi. Même pour des actes aussi bénins, faut-il le rappeler. Et sa hiérarchie en est resté là.

Apparemment, l’ordre vient d’en haut et lui n’est que le dernier exécutant. L’avocat de la défense dira qu’il regrettait que le procureur de Béziers ne soit pas aussi à l’écoute que celui de Foix **** qui a demandé le renvoi à la Cour de justice européenne. L’ordre de sévir vient de plus haut. La peine demandée : un mois de prison avec sursis est la plus sévère demandée dans ce genre de situation. Heureusement, selon certains observateurs avertis, la juge a prêté une oreille attentive. Le fait qu’elle n’ait jamais coupé la parole à aucun des faucheurs à la barre est le signe qu’elle était attentive à ne pas isoler les faits délictueux de leurs motivations.

En tout cas, à Béziers, la juge joindra les dégradations et la question préjudicielle demandée par l’avocat de la défense. C’est un bon acquis mais ceci ne dit rien du verdict qui sera rendu le 4 juillet.

(1) à moins qu’elle ne se considère pas comme faisant partie de la société civile.

(2) on pourrait aussi noter le temps qu’il a fallu aux autorités sanitaires pour admettre que les pesticides sont la cause de ce genre de maladies notamment chez les paysans qui les utilisent.

(3) Citation de Chirac. C’est le propre des politiciens de se rendre compte des dégâts réels de leur politique seulement quand ils sont à la retraite ou presque. Le reste du temps ils entretiennent le mouvement de destruction qu’il dénonce ensuite …comme s’ils n’y avaient été pour rien. En bon tacticien on joue sur les deux tableaux !

(4) on dit qu’il (ou elle) aurait été mutée à Cayenne quelque temps après.

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21/10/2017

Les Faucheurs volontaires qui avaient, en manière de protestation, peint et rendu invendables des bidons de Round Up – le tristement célèbre herbicide de la firme Monsanto contenant le non moins célèbre ‘glyphosate’ – dans un magasin de Pézenas devaient être traduits en justice mercredi 18 octobre au tout nouveau Tribunal de Béziers. Comme cela avait été prévu quelques jours auparavant entre leur avocat et le juge, l’audience aura finalement lieu le 6 juin 2018.

Dans une première partie (<>) nous rappellerons les faits et dans la suite nous les commenterons. Ceux qui connaissent les faits peuvent donc aller directement à la deuxième partie (<><>) où nous parlerons de l’attitude des faucheurs et de l’agriculture industrielle. Nous traiterons plus globalement de la société industrielle dans la partie (<><><>).

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On notera au passage que cette journée du 18/10 devait voir passer devant les juges une vingtaine d’affaires. Dont celle des faucheurs. En un temps record : 8 heures ! Soit donc 24 minutes pour chaque dossier. On avouera que, dans ces conditions, la justice peut paraître assez expéditive. Surtout pour un dossier comme celui des 12 faucheurs qui ne semblaient pas venus pour faire une apparition fugitive. Ceux-ci, à chacun de leurs ‘fauchages’ ou ‘peinturlurages’, déclinent leur identité et donc, si plainte il y a, – ce qui fut le cas à Pézenas – passent en justice où ils veulent précisément exposer les griefs qu’ils ont contre les OGM ou – dans ce cas – les producteurs de pesticides comme Monsanto.

Le contexte est important : le mois dernier il y eut un procès du même genre à Foix (Ariège), la décision du juge fut saluée comme une victoire par les faucheurs. En effet, celui-ci a demandé à la Cour européenne de Justice son avis sur ce sujet. « À l’instar de l’avocat de la défense, le Parquet a aussi demandé à poser une question préjudicielle à la Cour de l’Union européenne, afin de connaître l’avis de cette Cour sur la compatibilité du règlement qui encadre les herbicides par rapport au principe de précaution… Le juge a donc suivi l’avocat des Faucheurs et le Parquet et a décidé de renvoyer les quatre questions préjudicielles à la Cour de justice européenne. » Le principe de précaution est-il vraiment assuré sachant que le Round Up contient du glyphosate déclaré inoffensif pour la santé humaine ou animale par son producteur, la firme Monsanto. Par ailleurs, le professeur Séralini, présent à Foix, avait évoqué les autres produits constituant le Round Up (les co-formulants) qui semblent aussi nocifs voire plus que le glyphosate, censé être le seul principe actif. Or ces produits sont inconnus car relevant du secret industriel. « Les Faucheurs considèrent en effet que le fait que seul le glyphosate soit évalué, alors qu’il ne représente que 30 % de la composition du Roundup, est en soi problématique. » Car les co-formulants posent eux aussi des questions sanitaires et environnementales. Cette question est posée à la Cour européenne.                             

L’affaire se présente en théorie plutôt bien pour nos faucheurs. Cependant « cela ne fait pas jurisprudence puisqu’à Guinguamp, [ quelques jours plus tard ] le même procès n’a pas abouti à la même chose ». Sans présumer bien sûr de la décision de la Cour de Justice européenne. Entre temps, la Commission européenne, elle, devait statuer sur le renouvellement de l’autorisation du Round Up en Europe. Nous apprenons le 25/10 que la décision prévue pour ce jour vient d’être reportée. Monsanto ne lâche pas le morceau ! 

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La position des faucheurs sur le sujet était donnée la veille durant une conférence de presse donnée à La Cimade de Béziers.

En dénonçant « les institutions locales, nationales et internationales » ils vont droit au cœur du sujet. Ce sont bien ceux-là qui autorisent ces ‘poisons’ dont pâtissent les paysans, les riverains et, peu ou prou, tout le monde. Les faucheurs nous diront, à ce propos, que 7 d’entre eux ont fait des analyses d’urine pour savoir si celles-ci contenaient, ou pas, du glyphosate. Consternation : toutes les urines analysées en contenaient. Et parfois dans des proportions mirobolantes. Remarque importante : quelqu’un qui mange bio toute l’année – c’est le cas de plusieurs d’entre eux – n’est pas du tout épargné. Le record en la matière étant de plus de 3µg par litre. (1) « Nous sommes tous empoisonnés ! » conclura l’un d’eux. Car il n’y a pas vraiment lieu de penser que seuls les faucheurs sont atteints par la diffusion de cette substance toxique. Si nous ne nous inquiétons pas d’avoir du glyphosate dans les urines, c’est tout simplement parce que personne ne fait d’analyses pour les déceler. Ces analyses s’avèrent finalement difficiles à faire car il n’est pas facile de trouver un labo qui veuille ou qui soit en mesure de le faire. Il faut vraiment beaucoup chercher !


Par ailleurs, il demandent « le retrait immédiat du Round Up » de la vente. Depuis le 1° janvier 2017, celui-ci est déjà – théoriquement – vendu avec beaucoup de ‘retenue’ aux particuliers puisqu’il est interdit de le mettre en libre service : les flacons doivent se trouver dans des vitrines que seuls des vendeurs sont susceptibles d’ouvrir et des conseils de prudence doivent être donnés aux acheteurs. Or une enquête a montré que cette réglementation n’était pas respectée dans 44% des jardineries. Mais les faucheurs ne se bornent pas à demander le respect de la réglementation. Ils disent se battre contre l’agriculture industrielle. Dont le Round Up et autres herbicides sont un des piliers.

La demande d’un retrait ‘immédiat’ marque d’ailleurs une différence importante avec les logiques de gouvernements qui, en bons gestionnaires des pollutions ambiantes, ont pour habitude d’ajourner toujours le retrait pour mieux le ‘gérer’. Car la mise en œuvre du retrait, c’est bien l’affaire des gestionnaires qui le repoussent sans cesse et se justifient en nous renvoyant systématiquement aux responsabilités et au réalisme. Eux qui ont si facilement autorisé l’épandage de ces poisons (sans parler de tous les autres) avec une insouciance rien moins que coupable seront prompts à envoyer vers les autres la responsabilité – certes dure – d’interdire ces produits qui empoisonnent. « C’est la faute aux écolos si on interdit le Round Up ! » En fait, nous sommes bien devant un problème plus vaste et les Faucheurs l’ont clairement dit. Les herbicides sont un aspect de l’agriculture industrielle contre laquelle ils entendent lutter.

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Pointer celle-ci du doigt dans sa totalité est bien sûr indispensable. Les défenseurs les plus acharnés de celle-ci sont – bizarrement – ceux qui sont les plus exposés aux nuisances causées par les pesticides, herbicides, fongicides et autres intrants chimiques, c’est à dire une majorité d’agriculteurs regroupés dans la FNSEA. Celle-ci regroupe des syndicats d’exploitants agricoles ayant partie prenante dans cette agriculture industrielle qui a pris naissance en France dans les années 50 et défend bec et ongles le Round Up. « Nous ne pouvons pas nous en passer, nous n’avons pas d’alternative », clament-ils tous en chœur. Les résultats, quelques décennies après l’arrivée de ces poisons, sont consternants. Le monde est empoisonné à petit feu. Contrairement à l’amiante dont on sait bien identifier le cancer qu’il produit, le Round Up a une multiplicité d’incidences : il procurera des dégradations graves, le plus souvent mortelles, des reins dans les conditions du Sri Lanka ; en Argentine ce seront des maladies de Parkinson et des morts inexpliquées (mais pas inexplicables) ; en France, Parkinson et autres maladies neuro-dégénératives mais aussi des malformations chez les nourrissons, perte de la fertilité chez les adultes, etc. (2) « … je dis qu’il faut bannir aujourd’hui l’utilisation du glyphosate. Il faut bannir, ne pas attendre 2022 car pendant les cinq années qui nous séparent de 2022, ce sont des milliers de femmes enceintes qui vont être contaminées par ce produit, des milliers, que dis-je, des millions d’enfants qui vont porter dans leurs gènes des contaminations par le glyphosate, c’est à dire que ce sont les générations futures que l’on met actuellement en danger à cause de l’utilisation de ce poison. » Pr Sultan (3)

On peut tout de même s’étonner qu’il n’y ait pas plus de réactions contre l’usage de ces dangereux produits chimiques ! Et, par ailleurs, ce n’est pas un petit problème de voir à quel point les gouvernants se contentent de ‘gérer les catastrophes’. Le système global – l’agriculture mais aussi le reste de l’industrie – pèse sur les gens ; il est si puissant que peu imaginent possible d’en sortir. Beaucoup se sentent comme une des fourmis de la fourmilière. Si l’organisation sociale ne fonctionne plus, c’est la mort pour tous. Tel semble être le sentiment le plus répandu. Sortir de l’agriculture industrielle, a fortiori du monde industriel, serait un cataclysme encore plus grand et grave que de vivre dans ce monde où l’on est agressé de toutes parts par une pollution omniprésente. Tout au plus on demandera une meilleure réglementation pour des produits que l’on considérera comme dangereux… mais aussi comme tout à fait indispensables ! Indispensables seulement dans le cade de l’agriculture industrielle !

C’est évidemment le plus que peuvent et veulent faire les gouvernants jusqu’à présent : réglementer, légiférer. Mais même ça, le plus souvent, ils rechignent à le faire ou retardent le plus possible l’échéance ! (4) Sachant qu’il est hors de question pour eux de mettre en cause cet ‘enfer vert’ qu’est l’agriculture industrielle. Celle-ci faisant partie intégrante du développement, de la croissance qu’ils prônent du matin au soir comme l’idéal incontournable de notre temps. Il est vrai que, dans les officines privées ou publiques, on ne voit guère ce qu’on peut reprocher à ce monde charmant qui permet d’acheter tout le confort et même plus, de se divertir à tout crin, d’élire des représentants. Et même d’écrire des articles qui s’opposent à tout cela. Beaucoup disent qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Préserver le ‘bon fond’ qui est l’essentiel et rejeter les quelques désagréments, les diverses pollutions, entre autres choses, qui ne pèsent pas si lourd – mais de plus en plus lourd ! – par rapport à tout ce que nous procure cette société formidable.

Le problème est avant tout là : on peut recenser toutes les horreurs des Fukushima, des Seveso, des brouillards de particules qui tiennent lieu d’air respirable, des plastiques qui ont remplacé les poissons dans l’océan, etc, ceci constitue un désastre mais « le désastre est bien plutôt qu’un tel mode de vie [ qui produit tout cela ] soit désirable et soit effectivement désiré par l’immense majorité de la population mondiale. » (5)

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A l’opposé, les faucheurs sont parmi ceux qui se révoltent contre l’agriculture industrielle. Parfois la question se pose de savoir pourquoi tant d’indifférence autour de ces problèmes. La conférence de presse n’a attiré qu’un seul journaliste. C’est bien peu. Midi Libre, le journal le plus lu à Béziers, n’a pas cru bon déléguer quiconque pour informer ses lecteurs. Avons-nous là un complot contre les faucheurs, une omerta comme on le dit parfois ? Il conviendrait de tourner la tête vers ceux qui font la une des journaux. M. Ménard, ex directeur de Reporter sans frontières, actuellement maire de Béziers – ça tombe bien ! – est un habitué des médias. « Notre seule force, disait le directeur de RSF qu’il était, c’est notre poids dans les médias ». Et il en rajoutait : « La médiatisation de notre action n’est pas un supplément d’âme, c’est notre raison d’être. » L’adjudant Ménard a théorisé la guérilla médiatique : « Il faut savoir utiliser les techniques d’aujourd’hui : la publicité, le marketing. » (6) Le mot est lâché : quand on veut être médiatisé il faut avoir une activité en conséquence. On peut croire ce monsieur qui en connaît un bout sur la question (il utilise son savoir maintenant encore en tant que maire de Béziers). Et c’est bien là le problème. Le discours médiatique est absolument formaté. Les journalistes disaient – pour prendre un autre exemple – de José Bové que ses interventions étaient remarquablement calibrées pour les médias. D’où l’intérêt qu’ils avaient pour celui-ci et son parcours médiatique jusqu’au faîte de la sphère politique ! On a bien vu que, dès que celui-ci a abandonné le rôle de porte-parole de la Confédération paysanne, les médias ne s’intéressèrent plus guère à ce syndicat.

Qu’est-ce qui, chez les faucheurs, rebute les journalistes ? Il est clair que quelques individus qui, de leur propre chef ont pris l’habitude de faucher des plantes OGM et de passer pour cette raison devant les tribunaux, ça peut attirer les médias …surtout au moment des procès. Mais ce n’est même pas toujours le cas ! C’est pourtant la vocation de tels procès et même de la méthode des faucheurs qui agissent à visages découverts afin de porter leur discours devant les tribunaux. Cependant, le fait de faucher clandestinement des champs d’OGM sans avoir de figure de proue, de chef en quelque sorte, qui sache jouer des coudes pour se retrouver sur les plateaux télé et à la radio, ça n’aide pas. Bien au contraire.

Il est certes légitime de vouloir se faire entendre le plus possible et de regretter que ceux qui devraient faire écho à ces questions ne jouent pas leur rôle. Mais la tendance qu’ont certains (pseudo) opposants au système à choisir les meilleurs moyens de se faire connaître risque fort d’altérer le message. (7) Ce n’est pas seulement une question de forme appropriée d’ailleurs, en faisant évoluer la forme vers le plus acceptable, on fait évoluer le fond dans le même sens. « Une parole qui se donne comme unique objectif sa diffusion est destinée à se confondre avec le moyen de cette diffusion, à alimenter le bruit de fond constant de la télé, des journaux, des radios, du réseau. Son destin est celui de tous les produits et des ‘tendances’ qu’elles côtoient sur le marché des idées : elle sera vite périmée. » (8) José Bové n’est-il pas finalement le meilleur exemple de cette direction prise vers une intégration de plus en plus complète au système dénoncé ? Sans doute donc vaut-il mieux s’adresser à ceux qui sont sensibles et chercher, au-delà des médias, plus de gens réellement à l’écoute plutôt que de vouloir trouver dans les médias le moyen – ‘miraculeux’ – de s’adjoindre des foules d’éphémères et volatiles partisans. Les faucheurs que nous avons vus à Béziers ont bien compris ça contrairement à tant d’autres qui semblent névrotiquement préoccupés à s’attirer les bonnes grâces des médias… Si l’on essaie d’œuvrer pour un ‘heureux bouleversement’ il y a beaucoup de voies sans issue à éviter. 

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Revenons pour terminer à cette agriculture industrielle, objet de la critique des faucheurs. Au départ, il semble que les faucheurs fauchaient …les champs de plantes transgéniques. Aujourd’hui on s’attaque à un domaine connexe : les pesticides – en l’occurrence le Round Up et la firme productrice Monsanto – puisque ceux-ci fonctionnent de concert avec les plantes OGM. A une époque certains, sensibilisés aux problèmes des OGM, étaient d’ardents défenseurs de la ‘filière sans OGM’ et du traçage des plantes. Nous ne pouvons que nous réjouir que les faucheurs aient délaissé ces préoccupations car on ne dira jamais assez que le puçage des animaux et toutes les obligations administratives relatives au traçage qui contraignent chaque paysan à standardiser ses pratiques suivant les normes que les gouvernements imposent – notamment l’incontournable ‘informatisation’ – est constitutive de cette agriculture industrielle tant décriée. Qu’on se souvienne de la mésaventure de Jérôme Laronze, paysan harcelé par l’administration et finalement tué par les gendarmes (9). Il s’agit d’un cas extrême mais ô combien révélateur d’un problème : pucer ses animaux, passer des heures devant l’ordinateur pour accomplir une tâche de gestion informatique standardisée et conforme aux exigences de l’État n’a rien à voir avec le travail d’un paysan. Ce sont évidemment les gouvernants qui tentent d’imposer par la force cette façon de faire. Beaucoup acceptent docilement mais sous la contrainte ; ils ont, par contre, du pain sur la planche avec une frange de réfractaires – très minoritaires certes – mais déterminés. Tout ceci fait aussi partie de la lutte contre l’agriculture industrielle et même la société industrielle sur laquelle nous revenons.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser la société industrielle n’est pas confinée à l’industrie. Les Luddites en leur temps avait cassé les nouvelles machines qui faisaient le travail à leur place car elles leur enlevaient toute autonomie. Et c’est bien là le problème central. Au XIX° s, des ouvriers parmi les plus conscients de l’exploitation du prolétariat naissant choisissaient – quand ils le pouvaient – l’artisanat, l’émigration ou d’autres possibilités d’éviter la condition ouvrière (10). Aujourd’hui nous sommes de plus en plus dans une société de masse où chaque individu est contrôlé et contraint. Et c’est bien le libéralisme économique qui a conduit à cela malgré les pleurnicheries des libéraux sur la liberté (…d’entreprendre !) qui, à leur goût, est trop souvent bridée. Loin de conduire à une plus grande autonomie individuelle le libéralisme a promu la soumission à une méga machine productive bâtie sur le mode de l’industrie – organisation stricte, obéissance, recherche permanente de l’efficacité, de l’innovation,… – et tout ça déborde largement la sphère de l’industrie. Les services et tout ce qui se fait socialement est construit sur ce modèle. Ce qui explique bien sûr que la plupart des gens n’aient plus grand-chose à objecter à un monde qui est efficace et dont l’écroulement ne pourrait, à leurs yeux, qu’amener le chaos et donc la fin du confort, des divertissements, etc. (11) Si l’on veut donc lutter contre la société industrielle il faut bien retrouver les valeurs de liberté individuelle et collective ainsi que d’autonomie. Les Faucheurs que j’ai vus ces derniers jours m’ont paru sur la bonne voie.

1. d’après Mme Marie Monique ROBIN « tout le monde en aurait en moyenne un taux de 12 fois le maximum autorisé dans l’eau. » La limite de potabilité de l’eau de boisson fixée à 0,1 µg/L dans l’Union européenne

2. On peut se reporter pour plus ample information au dernier film de Marie Monique ROBIN visible sur you tube.

3. https://www.francebleu.fr/emissions/l-invite-de-7h50-france-bleu-herault/herault/l-invite-de-7h50-france-bleu-herault-160?xtmc=Pr%20Sultan&xtnp=1&xtcr=6

4. Beaucoup d’opposants n’aspirent du reste qu’à …améliorer le rendement de l’État. En voulant des lois, des règlements, du traçage, une gestion de ce qu’ils voient comme une crise.

5. « Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable » de René RIESEL & Jaime SEMPRUN, EDN, 2008.

6. http://www.homme-moderne.org/plpl/n5/p3-4.html : Les vautours de Reporters sans frontières

7. On pense évidemment à Greenpeace qui en est rapidement venue à avoir une structure pyramidale avec ceux qui décident et les autres qui se spécialisent dans certains aspects de l’action. Des professionnels – salariés – de l’action directe en somme. Et, évidemment, des actions au format rigoureusement médiatique.

8. « La liberté dans le comas » du Groupe Marcuse. Ed. La lenteur.

9. « Lors de la dernière visite, pas moins de deux contrôleurs et quatre militaires en armes se sont présentés à la ferme par surprise. Pris au dépourvu, Jérôme a décidé de partir en cavale pour dénoncer les agissements de l’administration. Dans le journal de Saône et Loire il développait sa version parfaitement claire de la situation :

l’hyper-administration n’apporte rien aux agriculteurs, sinon de l’humiliation et des brimades. Cela ne rapporte qu’aux marchands et aux intermédiaires. Mon cas est anecdotique, mais il illustre l’ultra-réglementation qui conduit à la destruction des paysans.’ »

Revue ‘L’inventaire’, n°6 automne 2017. Ed La Lenteur.

10. « Mémoires d’un prolétaire », de Norbert TRUQUIN, Ed le mot et le reste.

11. Ce n’est pas étonnant vue l’intégration totale des critiques les plus en vue au modèle dominant. Les plus médiatisées.