Les classes populaires,
la droite et la gauche …du capital ! 3/12/2019
« C’est pure folie de penser toujours de la même façon et d’attendre des résultats différents »
Albert Einstein
Ce n’est plus un secret pour personne mis à part les aveugles volontaires : l’opposition gauche – droite dans la vie dite ‘politique’ en France a vécu ! Il convient donc maintenant de dresser un tableau de ce qui s’est passé ces dernières années, comment s’est déroulé l’écroulement de cette opposition souvent qualifiée de factice ( on pense à l’UMPS que les plus avisés dénonçaient déjà il y a quelques décennies ).
Tout d’abord, il faut noter qu’au-delà des différences entre les deux partis dits « de gouvernement » il y avait une unité qui primait sur toutes celles-ci. Ce constat n’était pas facile à faire sous la présidence Sarkozy par exemple tant ses opposants de gauche rivalisaient d’agressivité et de virtuosité sarcastique à son égard. Ces mêmes individus qui le qualifiaient de « fasciste » – un de plus – se sont rués sur les urnes pour les remplir de bulletins Hollande en 2012. Au moins au deuxième tour. On a vu ce que ça a donné en 2017 ! Le coup de père François : même pas la peine de se présenter, l’effondrement de la crédibilité du PS était devenu une évidence. On avait devant les yeux le résultat de l’alternance tant vantée par les politiciens de gauche comme de droite car, disaient-ils, c’était le processus normal de la démocratie. Deux partis qu’on appelaient gauche et droite – on aurait pu dire haut et bas – et qui avaient d’égales capacités à gérer l’État sans changer grand-chose – ou du moins à « changer tout pour que rien ne change ! » comme le disait le fameux Prince de Lampedusa.
Premier constat : l’érosion de la conscience de classe des couches populaires est allée bon train depuis que le PCF a disparu – lui aussi, mais c’est une autre histoire ! Les classes supérieures, nous dit J. Sainte Marie reprenant les sondages sur le sujet, restent quasiment les seules à avoir une conscience claire de leur propre intérêt collectif, ce qui corrobore la déclaration du milliardaire W. Buffet qui disait : « oui, la lutte des classes existe et c’est mon camp qui la gagne ! » Les classes populaires ont pris de la distance par rapport à l’action politique. Une des manifestations particulières de ce désintérêt étant le refus de vote lors des élections. Entre le bleu et le rouge on choisissait mais entre le bleu pâle et le rose délavé on préfère la pêche à la ligne. C’est un fait que dans tous les pays dits ‘démocratiques’ l’opposition entre blanc bonnet et bonnet blanc amène l’abstention massive. Aux États-Unis, cela fait belle lurette qu’on en est là et pour le spectacle ambiant on est un brave citoyen …quand on vote, ni plus ni moins. Pour les uns ou pour les autres, qu’importe, il suffit de voter !
Bien évidemment pendant de longues années en France, les suffrages étaient partagés en deux camps car il fallait bien qu’il y ait un enjeu ! Le spectacle n’aurait pas fonctionné, autrement. Les seules classes dirigeantes ont pris les affaires en main en ressassant le distinguo droite – gauche. Celui-ci ayant l’avantage de distribuer toutes les convictions politiques sur une ligne allant de l’extrême -…à droite ! – à l’extrême -…à gauche ! Positionnement bien commode qui aplanit toutes les différences qualitatives en les cantonnant à un aspect quantitatif. On est un peu plus …à droite ou un peu plus …à gauche. On n’en sort pas ! on ne fait que déplacer un curseur, plus dans un sens ou dans un autre. On en veut plus … ou moins !
Les votes des classes dirigeantes se sont donc réparties dans les deux tendances : la gauche et la droite. Bien entendu, les deux partis étaient des émanations de ces classes dirigeantes. Chacun des deux partis avait un rôle défini, un fond de commerce différent car s’adressant à des sensibilités distinctes mais toutes deux situées dans le même univers des classes dominantes. C’est une banalité aujourd’hui de dire que la gauche qui, flanquée du PCF, avait quelques velléités de bousculer l’ordre bourgeois, a rapidement mis celles-ci au rebut et a dû s’inventer une identité. Comme la gauche a toujours été le parti du progrès l’objectif fondamental de la gauche devint : les réformes sociétales. Il fallait bien progresser en quelque façon ! Ceci fut clairement étayé par le ‘groupe de réflexion’ Terra Nova qui fit un bilan très clair des politiques devant être entreprises par le PS. Pour rappel : abandon des classes populaires considérées comme trop conservatrices ( Ah, Orwell avait bien vu ! ) au profit des immigrés, des jeunes, des femmes, etc… ‘minorités’ en tous genres ! On savait à quoi s’en tenir.
Pendant ce temps, la droite militait pour la libéralisation poussée et la mondialisation de l’économie abandonnant progressivement le gaullisme. Point de différence fondamentale car, si pour la gauche il ne pouvait être question d’aller à l’encontre d’une économie libérale mondialisée, la droite n’avait pas non plus de revendication s’opposant aux réformes libérales de la gauche – on l’a vu au grand dam de tout un milieu gauchiste pour lequel la droite reste toujours ce qu’elle était il y a un siècle : le parti de l’Église et de l’Armée. Point de vue que J.Cl. Michéa estime à juste titre être « la pire des illusions que puisse entretenir un militant de gauche ». Maurice Druon alla même, en son temps, jusqu’à dire que « en France il y avait deux gauches, dont une, par commodité, s’appelait la droite ».
Seules les aspirations à acquérir des voix hors de leurs milieux bourgeois d’origine poussait parfois la gauche à proférer des boniments du type « mon ennemi, c’est la finance ! », comme le proféra Hollande lors de sa campagne électorale de 2012. Il fallait que le pauvre homme fût poussé à bout et voulût vraiment le pouvoir pour en arriver à dire des choses pareilles ! De même, Sarkozy avait promis de passer le karcher pour nettoyer les banlieues, histoire de paraître vraiment de droite. Inutile de dire que ni l’un ni l’autre n’ont tenu promesse. Leur préoccupation était bien sûr ailleurs. Tous les deux visaient à entretenir et gérer au mieux le capitalisme mondialisé dont ils se réclamaient et se réclament toujours l’un et l’autre. Les « valeurs de gauche » et les « valeurs de droite » n’étaient là que pour justifier une différence tout à fait secondaire.
Bien que certains persistent à penser que la gauche est le parti défendant les classes populaires la dernière élection présidentielle a rendu manifeste l’écroulement total de celle-ci, au pouvoir depuis 2012, à laquelle allait suivre le collapsus de la droite quelques mois plus tard. Se sont retrouvés au pouvoir et agglutinés autour d’un nouveau venu : Macron, des gens de droite et de gauche – une espèce de droiche ou de gaute suivant l’expression des « Inconnus ». Ils avaient enfin réuni leurs compétences pour défendre ce qui semblait le plus important : le capitalisme comme fait social global. Se concentrant sur l’essentiel qui unit la gauche et la droite, ils promeuvent avec insistance les réformes dont le capitalisme a besoin. Chaque camp apportant sa pierre. D’un côté, les réformes libérales sociétales (de gauche), de l’autre la destruction de l’État Providence ou de ce qu’il en reste (la droite). Et ces joyeux drilles de s’y adonner sans retenue depuis qu’ils se sont associés au pouvoir.
L’affrontement électoral qui jusqu’à présent opposait la gauche et la droite se situe maintenant entre un centre libéral soutenu par le « bloc élitaire » (expression promue par J. Sainte Marie) et l’extrême droite que les journalistes appellent « populiste ». Ce qui a provoqué la coagulation des grands partis de gauche et de droite dans un hyper centre libéral est bien entendu le ralliement électoral d’une bonne partie des classes populaires à l’extrême droite – bien plus par dépit vis à vis des politiciens des deux bords qui se sont succédé au pouvoir depuis Mitterrand que par amour de celle-ci. L’hypercentre libéral donc fusionne les classes supérieures avec leur lot de réformes : casse de la sécu, des retraites, des allocations chômage, etc mais aussi la promotion des réformes sociétales comme la PMA et bientôt la GPA pour toutes.
Les classes populaires se sont depuis 2017 éloignées de la gauche mélenchoniste au grand désespoir de celle-ci. Cet éloignement manifestant un désaveu cinglant par rapport aux idéaux modernistes que celle-ci colporte. De ce fait, les quartiers dits populaires – c’est-à-dire, en fait, les quartiers d’immigrés – deviennent un des rares fonds de commerce de cette gauche-là qui devient électoralement squelettique. Seuls des fonctionnaires et une petite partie des cadres constituent son électorat. En voie de marginalisation ? Les ouvriers et employés du privé – les classes populaires largement majoritaires – se sont souvent réfugiés sous la bannière Le Pen – quand ils votent bien entendu, ce qui est loin d’être toujours le cas ! – Ceux-là constituent le gros des Gilets Jaunes depuis novembre 2018.
Cette polarisation électorale montre l’absence totale – dans ce cadre électoral – d’alternative pour une quelconque possibilité de développement qualitatif de la lutte au profit des classes populaires. Elles ne peuvent plus que se voir dans le sillage électoral de la clique à Le Pen. Pour éviter ça il faut tourner les yeux vers d’autres horizons que les élections. C’est bien sûr ce qu’ont fait les Gilets Jaunes spontanément et sans stratégie d’aucune sorte. Abandonner le terrain électoral aujourd’hui, c’est un premier pas pour conquérir l’autonomie dont ces classes populaires ont besoin afin de débloquer une situation ne pouvant que se détériorer sinon.
L’hypercentre prenant ses désirs pour la réalité, les deux compères de Macron, David Amiel et Ismaël Emelien, écrivent : « Le comportement électoral n’a jamais aussi peu dépendu de la position sociale, et jamais autant de la manière dont chaque individu considère sa propre vie et son propre avenir ». Les soubresauts provoqués par les réformes libérales du macronisme montrent que si le comportement électoral est basé sur l’individualisme moderne, la recherche de la préservation des intérêts de classe existe, ils ne sont pas oubliés par les classes populaires et prennent même de l’ampleur face aux attaques en cours. En mode léthargique pendant les périodes où le statu quo régnait, grosso modo, aujourd’hui la conflictualité a été réveillée par l’agressivité et l’arrogance macroniennes. C’est bien l’enseignement premier de l’avènement des Gilets Jaunes.
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Le texte suivant a été écrit suite à la présentation d’un débat à Béziers sur le thème :
La gauche va-t-elle disparaître ? 17/04/2019
Quand on se pose la question de savoir si la gauche peut – ou va – disparaître, il faut commencer par se demander ce qu’est la gauche ‘politique’. C’est d’autant plus important que beaucoup de gens s’étripent aujourd’hui en se disant de gauche et en accusant d’autres d’usurper ce ‘titre’. Un peu d’histoire donc pour commencer.
La notion de gauche (comme celle de droite) n’a pas un contenu idéologique constant. Au XIX°s, la gauche désigne le parti du Progrès de la Liberté. Ce parti s’oppose à la droite, celui de la Tradition et de l’Ordre. Pendant longtemps – pratiquement tout le XIX° s – la gauche a été le parti de la bourgeoisie libérale et innovante – c’est ce qu’écrivait Benjamin Constant dès 1819, dans sa ‘liberté des Modernes’ (1) – opposé à l’aristocratie dont le souhait était le retour à l’Ancien Régime. « Le but des Anciens [l’antiquité gréco-romaine] était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une même patrie. C’était là ce qu’il nommait liberté. Le but des Modernes, la sécurité dans les jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ses jouissances. » On pourrait voir là une définition du libéralisme politique. Plus question donc de chercher la maîtrise d’un destin politique commun à tous ceux d’une « même patrie » qui était la liberté selon les Anciens. Le peuple n’est plus qu’un ensemble d’individus où chacun aspire à sa ‘liberté’, ses ‘jouissances’ mais qui n’a plus pour objet de réaliser un destin collectif. C’est ce que dénoncera le socialiste Pierre Leroux – celui qui inventa le mot socialisme – qui déclare : « cette société où tout le monde veut être monarque ». Car, contrairement à la pensée libérale, la pensée des socialistes prend en compte la détresse de la nouvelle classe des ouvriers de l’industrie. Dans laquelle ceux-ci voient le résultat de la concurrence généralisée qui s’est instaurée entre tous les membres de la société.
Des gens comme Thiers ou Zola (2) à la fin du XIX° sont des libéraux et constituent la gauche de l’époque. Ils s’opposent à la droite royaliste. Tous deux étaient : le 1° un acteur et le 2° un partisan du massacre des Communards. Ils se situaient et étaient reconnus comme étant la ‘gauche’. Après la fin de la Commune Édouard Vaillant, qui avait pris part à la Commune de Paris, écrira : « à ceux qui seraient tentés d’oublier que la gauche versaillaise, non moins que la droite, a commandé le massacre de Paris, et que l’armée des massacreurs a reçu les félicitations des uns comme des autres. Versaillais de gauche et versaillais de droite doivent être égaux devant la haine du peuple car contre lui toujours radicaux et jésuites sont d’accord. » Belle adresse à l’attention de ceux qui auraient été tenté par le ‘moindre mal’ qu’aurait constitué la gauche ! Oubliant ainsi que le moindre mal, c’est déjà un mal, comme le dira Hannah Arendt.
Ni Marx ni Proudhon ne se sont jamais revendiqués de la ‘gauche’. Et pour cause, le mouvement socialiste n’avait rien à voir avec le libéralisme et ses valeurs. La gauche et la droite étaient considérées comme deux parti(e)s des classes possédantes : en gros, la bourgeoisie pour la gauche et l’aristocratie pour la droite.
Le sens du mot ‘socialiste’, inventé par Pierre Leroux, était : privilégier le société, la solidarité plutôt que la concurrence au détriment des plus faibles. Mettre fin à la lutte de tous contre tous qu’était devenue la société d’alors. Voilà qui était inacceptable pour les libéraux qui, à l’opposé, ne juraient que par le commerce et donc une concurrence permanente.
Ce n’est qu’à la fin du XIX° siècle que les choses changèrent. En France, deux socialistes, Jules Guesde et Jean Jaurès s’opposèrent quant à l’opportunité de participer en tant que socialistes à un gouvernement libéral (de gauche) (3). La question traitée est d’avoir ou non un ministre socialiste au gouvernement. Alexandre Millerand, socialiste mais non affilié à un parti (…socialiste), veut y faire ‘avancer’ la cause alors que d’autres souhaitent ne pas s’engager car il y avait tout à perdre à s’associer avec la bourgeoisie. En Allemagne, tendance du même ordre : les sociaux démocrates ont des succès électoraux fulgurants. Certains ne veulent pas le socialisme mais gérer le capitalisme …au profit des travailleurs ! Rosa Luxembourg s’y oppose. La tendance libérale l’emporte en France comme en Allemagne et Alexandre Millerand sera le premier ministre ‘socialiste’ d’un gouvernement français ; quelques années plus tard, il sera un président de la république …de droite ! Entre temps, il avait tourné casaque. On a un raccourci de ce que deviennent les socialistes en s’alliant à la gauche pour accéder au pouvoir.
À partir de cette époque la gauche désigne ce conglomérat de libéraux et de ‘socialistes’ qui perdront, comme l’avait bien vu Guesde ou Laffargue, mais aussi Rosa Luxembourg, toute prise sur les éléments et borneront leurs prétentions à « gérer le capitalisme » comme les sociaux démocrates allemands l’envisageaient.
« jusqu’à la fin des années 20 […] ce qui définit encore le plus souvent un « homme de gauche (…) c’était beaucoup moins son combat contre la modernisation capitaliste du monde que sa farouche opposition républicaine et « radicale » aux forces « réactionnaires », c’est à dire aux ultimes survivances du pouvoir de l’Église catholique et de l’ancienne aristocratie terrienne. » écrit Michéa. Voilà qui est clair. La gauche est devenue le lieu de cohabitation entre des libéraux (…de gauche) et certains socialistes dont Rosa Luxembourg avait prophétisé l’intégration rapide aux politiques bourgeoises.
La droite réactionnaire s’effondrant complètement après la deuxième guerre mondiale, elle disparaît comme parti de l’Ordre et du retour à l’Ancien Régime, il ne reste alors plus qu’un parti de l’Ordre, celui qui défendra la suprématie de la nouvelle classe dominante : la (grande) bourgeoisie. Pour ce parti la voie semble être complexe car il promeut les intérêts de la bourgeoisie, il est donc forcément un parti du mouvement, du changement permanent. Comme le dit Marx, « le capitalisme est par essence le mouvement qui détruit tous les ordres anciens y compris les barrières morales. » (3) La droite est donc assise entre deux chaises : d’un côté, il faut qu’elle revendique l’ordre et le statu quo au bénéfice de la bourgeoisie mais, d’un autre, il faut qu’elle promeuve les mutations indispensables à cette suprématie. Ce n’est qu’après les années Mitterand que la droite libérale se réapproprie totalement l’idée des « réformes nécessaires » pour casser le moule dans lequel les Trente Glorieuses avaient niché des acquis (conquis) sociaux. Cette période était donc une parenthèse (fermée depuis) : les « réformes » ne sont plus aujourd’hui des changements au bénéfice des classes populaires, comme c’était entendu jusque dans les années 70, mais des adaptations nécessaires aux évolutions du capitalisme. Par exemple : on ne réforme plus pour avancer l’âge de la retraite (jusqu’aux années 80) mais pour le reculer (à partir des années 1990).
La droite et la gauche vont donc dans le même sens. Et la gauche au pouvoir nous donna quelques situations étranges : « L’État ne peut pas tout », comme le disait Jospin, premier ministre du Parti dit « Socialiste ». Face à la droite qui s’était présentée comme garante du statu quo – « le changement sans le risque », comme l’avait dit Giscard. On devait entendre la défense acharnée de la grande bourgeoisie.
Il fallait tout de même que la gauche redevienne, de quelque manière, la « championne du changement », ce devait (re)devenir sa marque. Quel changement donc ? Puisqu’aucune alternative vers le socialisme n’était plus envisageable, celle-ci allait trouver un terrain propice à cette idéologie du changement présentée comme étant l’essence de la gauche : le progrès sous toutes ses formes devient ce marqueur essentiel. L’idéologie « libérale libertaire » s’impose peu à peu après mai 68. D’un coté, l’aspect social (la lutte des classes) est mis sous silence et, de l’autre, les évolutions sociétales promues activement – antiracisme et société multiculturelle, féminisme, promotion des minorités sexuelles, etc. L’ère des réformes sociétales prenait naissance. Comme le dit Autain pendant une controverse avec Zemmour : « vous, vous êtes pour aller vers le monde d’avant ; moi, je suis pour aller vers le monde d’après… » (5) Avant et après. Voilà la ‘nouvelle’ opposition (de toujours) entre la droite et la gauche.
Dans ce nouveau positionnement l’important étant qu’aucune évolution vers le socialisme n’est plus envisageable, « there is no alternative » peuvent-ils dire tous ensemble et en accord avec Mme Thatcher. « La volonté pour la gauche de mettre en œuvre une stratégie de classe autour de la classe ouvrière, et plus globalement des classes populaires, nécessiterait de renoncer à ses valeurs culturelles, c’est-à-dire de rompre avec la social-démocratie. » comme le dit en 2011 le rapport Terra Nova, ‘machine à penser’ du PS. Ce parti de gauche devenait le champion des luttes sociétales : le premier pas de Hollande président sera d’instaurer « le mariage pour tous »… ce qui n’était aucunement une priorité pour les classes populaires ! Le PS de 2017 n’était plus – si tant est qu’il le fut ! – un parti de lutte des classes, il avait depuis longtemps renoncé non seulement au socialisme mais aussi au combat pour les classes populaires.
Le PS s’est effondré en 2017 à la fin du quinquennat Hollande, après avoir été depuis les années 1970 un parti clé, majoritaire ou concurrent sérieux pour obtenir la majorité. Macron, après avoir été conseiller de Hollande puis ministre de l’économie du gouvernement de gauche, arrive au pouvoir avec un parti recyclant à la fois beaucoup d’adhérents d’un PS moribond et « en même temps » de la droite la plus libérale. Le point commun entre les deux tendances étant bien sûr qu’elles sont partisanes du ‘mouvement vers l’avant’ emblématique du libéralisme et donc tout à fait compatibles avec les réformes sociétales envisagées par la gauche. On retrouve la situation d’une gauche de convergence entre le PS et la droite la plus libérale comme au début du XX° s. Cette fusion avait été prévue par Ch. Guiluy dès 2014. La droite restant avec une image réactionnaire et ses propres contradictions, la gauche n’a idéologiquement plus aucun frein. Le socialisme est aux oubliettes. Le libéralisme économique et politique sont en symbiose bien entendu. Macron incarne cette gauche misant donc sur la seule marche en avant (le nom de son parti, du reste), l’innovation permanente, incluant les réformes sociétales dont Terra Nova dit qu’elles sont les « valeurs culturelles » de la gauche.
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Le discours de la ‘gauche de gauche’ (ou ‘vraiment de gauche’ ou de ‘gauche radicale’, etc) ne cesse de marteler que la gauche qui a accédé au pouvoir, et particulièrement le PS, a trahi. Une fois de plus en 2017. Pourtant, en 36, il fallait savoir « terminer une grève » avec le PCF (parti ‘révolutionnaire’), en 68 « signer les accords de Grenelle » avec la CGT (syndicat de ‘lutte des classes’) (4), en 83 faire « le tournant de la rigueur » avec Mitterrand et le PS, en 2000 savoir que « l’État ne peut pas tout » avec Jospin et, encore plus récemment, accepter les réformes libérales – loi travail, … – avec Hollande jusqu’en 2017.
La gauche est-elle promise à la disparition ? Une première réponse est qu’avec Macron, son libéralisme économique et sociétal, la gauche va clairement prospérer. Et non décliner. La voie est d’autant plus ouverte devant lui qu’il ne rencontre sur ce terrain aucune opposition claire …à part l’extrême droite. La droite dite ‘réactionnaire’, opposée aux réformes sociétales, a du mal à s’exprimer dans ce registre car au fond ils restent des libéraux même si les réformes sociétales les effraient parfois.
Le mouvement des classes populaires, par ailleurs, incarné par les Gilets Jaunes depuis novembre 2018 montre assez bien que la gauche non seulement n’est plus – …si elle l’a été un jour ! – à l’initiative des révoltes sociales mais, de plus, que celle-ci est méfiante à leur égard, ne cessant d’y voir la main du populisme et de l’extrême droite. F. Ruffin, député de la France Insoumise, a martelé depuis au moins les élections de 2017 que le mouvement social pour ‘réussir’ devait allier le mouvement syndical et celui des quartiers ‘populaires’ – étant entendu qu’il s’agit des quartiers d’immigrés. On a vu que jusqu’à présent, malgré toutes les tentatives, aucun ‘mouvement des banlieues’ n’a convergé vers celui des GJ. Miss Traoré s’est époumoné à crier que celui-ci était trop ‘facho’ dans un meeting ‘de convergence’ organisé par la FI.
Il est vrai que Macron au pouvoir a un intérêt immédiat à montrer les GJ comme des racistes, sexistes, (et antisémites ensuite), etc. Mais il faut se souvenir que les multiples partis d’extrême gauche aussi ont exprimé dès le départ une grande défiance précisément parce que ce mouvement des GJ ne reprend pas les thématiques chères au cœur de la gauche sociétale dont ils font quasiment tous partie au même titre que les macronistes. Les accusations de racisme, sexisme, homophobie, etc ont donc fusé de la macronie, de la gauche en cravate et de l’extrême gauche en jeans, avant qu’une bonne part de cette dernière ne s’accroche par opportunisme au mouvement.
La gauche a donc un grand avenir avec les réformes sociétales qui n’en sont qu’à leur début et dont le déroulement ne peut avoir de fin – une réforme en cachant toujours une autre ! Ce fond de commerce ayant remplacé le combat social, toute la gauche jusqu’aux partis les plus extrêmes – de Macron ou Hamon jusqu’à l’ultra gauche – est habitée par ces préoccupations sociétales devenues centrales.
Cette gauche extrême résiduelle met en avant aussi la lutte des classes. Cependant, même pour des gauchistes endurcis comme le NPA ou Alternative Libertaire, la lutte sociale revêt un aspect plutôt secondaire aujourd’hui. La théorie de l’intersectionnalité qu’ils utilisent comme fond théorique indique que la lutte sociale est une lutte parmi d’autres. Mieux, il s’agirait d’une domination parmi d’autres dominations. « les trois systèmes de domination que sont le capitalisme, le racisme et le patriarcat », lit-on dans un article du journal médiapart. Le capitalisme discrimine les salariés au profit des patrons. Les ouvriers socialistes du XIX°s se retourneraient dans leurs tombes s’ils entendaient ça. Une stigmatisation et encore des ‘victimes’ …comme il y en a tant !
Cette gauche extrême n’aura guère de place que comme strapontin pour la gauche classique, macroniste aujourd’hui. On ne voit pas trop quel autre rôle historique elle peut mener. Sinon à en redemander sur ce que le pouvoir macroniste est prêt à accorder. Comme les gauchistes « vieille école » demandaient une augmentation de 500F là où la gauche classique en demandait 200, ils demanderont la GPA (éthique, bien entendu) là où la gauche macroniste et hamoniste ne voudront que la PMA. Ils demandent déjà d’ouvrir toutes les frontières encore plus grand là où la gauche ne demande qu’une ouverture déjà problématique pour les classes populaires. Etc. Ce que cette ‘gauche de gauche’ transporte, le progressisme sociétal, est déjà véhiculé par le macronisme bien plus moderne et dominant. Il y a donc peu de place pour celle-là.
Le socialisme originel, par contre, réapparaît à certains moments, enfoui le reste du temps dans les limbes de ces mouvements populaires ; certains traits reparaissent (par ex : la démocratie directe, le refus des partis) mais il faudra des circonstances extraordinaires pour que toute sa richesse puisse ressurgir après avoir été piétinée par la droite et la gauche pendant plus d’un siècle. La conscience n’est pas encore massivement exprimée que tout ce qui se décide d’important en ce monde ne vient pas seulement de la sphère politique comme le pensent trop de Gilets Jaunes aujourd’hui. Ce monde produit en flot continu des marchandises qui, de plus en plus rapidement, change le cours de nos vies. Et les maîtres de cette production ne nous ont jamais rien demandé. Nous ne décidons rien de tout cela. Alors le Referendum d’Initiative Citoyen dans ce contexte, que changera-t-il ? Faut-il produire des smartphones ? Des objets connectés ? Etc. On fabrique aujourd’hui en Chine des humains génétiquement modifiés, ne l’oublions pas. La course à l’innovation triomphante est toujours ouverte et fonctionne mieux que jamais. Alors quand l’humanité n’aura plus pour seule préoccupation que de fabriquer des êtres conformes au déroulement de l’économie, ce sera le couronnement de celle-ci. L’homme sera sans sexe, sans aucune particularité ni traditions, sans passé non plus et sans avenir. Un rêve pour les modernistes, les libéraux, les progressistes ! Ou bien …un cauchemar sans nom ?
La connexion entre la classe des politiciens et les managers de l’industrie et de la banque, déjà bien avancée, se consolide toujours plus. Avec pour seul horizon d’importance : produire et consommer. Le lien entre cet expansionnisme de l’économie et le libéralisme sociétal est loin d’être compris de tous : les gens de gauche pensent le plus souvent, aujourd’hui, que pousser les réformes sociétales au plus loin, au plus vite, c’est la voie de l’émancipation alors qu’il s’agit, bien au contraire, pour une bonne part, de la réalisation de la bestialité capitaliste. Beaucoup de révolutionnaires sincères, par ailleurs, sont obnubilés par ce miroir aux alouettes. Précisons qu’il ne s’agit pas de refuser de prendre en compte les critiques de ce que notre monde produit d’insupportable dans la condition des femmes, des homosexuels, des gens d’origine étrangère. Le problème est la façon dont tous ces problèmes sont abordés et traités aujourd’hui ; leur traitement se fait essentiellement en accord avec les valeurs du capitalisme libéral le plus avancé, lui sert d’écran et favorise son évolution malfaisante. De plus, tout se fait avec le consentement enthousiaste de ceux qui se proclament opposants à ce système.
Pasolini répondit à un homme de gauche qui l’accusait d’être réactionnaire : « Toi, tu es de gauche, d’extrême gauche, plus à gauche entre tous, et pourtant tu es un fasciste : tu es fasciste parce que tu es bête, autoritaire, incapable d’observer la réalité, esclave de quelques principes qui te semblent si inébranlablement justes qu’ils sont devenus une foi (…). » (6) Les gens de gauche ont peu changé depuis ce temps-là.
Pour qu’on accède à un « socialisme » anti-productiviste, il faudra absolument que s’opère une nécessaire rupture avec l’imaginaire progressiste de la gauche. Et ça, ce n’est pas pour tout de suite…
Car la gauche a fonctionné comme facteur d’évolution du capital dans tous les sens du terme : le capitalisme n’a cessé d’évoluer en donnant plus de place aux préoccupations sociales, il a trouvé parfois des solutions réelles aux problèmes urgents des populations et acclimaté la dissidence, en a fait un appendice indispensable de son propre fonctionnement. Et ce jusqu’aux tendances plus ‘radicales’.
Il paraît donc fort peu probable que ce ‘négatif’ disparaisse ; une société aussi complexe que la nôtre, aura de toute façon besoin d’une contestation, d’une opposition. Besoin de porte-paroles des classes perdantes afin de leur donner un souffle de vie nécessaire à la survie …dans la soumission ! La gauche a longtemps joué ce rôle ; aujourd’hui, elle a perdu tout crédit auprès des classes populaires qui étaient sa clientèle attitrée. Les macronades en France sont en fait l’aboutissement de la gauche depuis un siècle et ne font pas illusion pour les opposants au capitalisme. Au contraire.
Dans bien d’autres pays, on en est au même stade. D’autres tendances politiques prendront le relais pour jouer le rôle de la gauche. Il faudra dénoncer de toute façon ces autres voies de garage. Elles peuvent par endroits, en fonction de situations particulières, prendre encore le nom de « gauche », « gauche nouvelle », « vraie gauche » ou autre. Mais ceux qui refuseront que leur vie soit ballottée au gré des nécessités du capitalisme auront du pain sur la planche avec les gestionnaires du pouvoir ainsi qu’avec leurs concurrents.
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(1) Benjamin Constant – la liberté des Modernes comparée à la liberté des Anciens. 1819.
(2) « Le bain de sang que le peuple de Paris vient de prendre était peut-être une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. » lettre d’Émile Zola.
(3) Voir livre Discours de deux méthodes. « Le 26 novembre 1900, à l’hippodrome de lille, 8000 militants socialistes assistent à une réunion contradictoire sur les deux méthodes entre Jaurès et Guesde présidée par Gustave Delory, le maire de Lille. »
(3) dimanche chômé.
(4) il faudrait ici joindre une critique du stalinisme mais cela nous mènerait hors du propos de ce texte.
(5) voir la controverse de Cl. Autain avec Zemmour : https://www.youtube.com/watch?v=iJeZP_xH-Pc
(6) cité par Olivier Rey dans « Pasolini, le consumérisme et le chaos » https://linactuelle.fr/index.php/2019/02/08/olivier-rey-pasolini-consumerisme/
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