Innovations technologiques et  « progrès »…

08/10/2020 et revu 24/11/21

Est-ce que (toutes) les innovations technologiques sont des « progrès » ? Telle était la question posée lors de l’introduction au débat du Café Citoyen le 7 octobre 2020 à Béziers. Il s’agit bien évidemment d’une réponse à Macron qui déclarait que la 5G est un progrès indiscutable et que la France – étant un pays de progrès – ne peut pas en refuser l’installation. Les opposants ne peuvent dans ce cas être que des passéistes. Comparables aux Amish, véritables fossiles vivants aux yeux du président !

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Il est évident que, confrontés à ce type de questions, le premier réflexe consiste à trier entre le bon et le mauvais progrès. Entre la médecine qui guérit toujours mieux les humains, …d’un côté. Et de l’autre, les pesticides qui détruisent les humains et la nature (ça y est, tout le monde est d’accord sur ce sujet maintenant, il en a fallu du temps…!) ainsi que les centrales nucléaires qui font courir des risques énormes (voir Fukushima). Le tout en apportant – faut-il s’empresser de préciser – quelques contreparties évidentes. Par exemple : les pesticides aident les agriculteurs – dans le contexte de l’agriculture industrielle – à obtenir des produits propres à la vente. De même, les centrales nucléaires apportent à une société en besoin perpétuel d’énergie électrique, l’électricité dont elle a besoin. 

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Après réflexion on s’aperçoit que les progrès de la médecine – constituant le pôle éminemment positif du « progrès » – ne sont pas indépendants de ceux accomplis dans d’autres domaines. Pour produire des médicaments qui soignent toujours plus efficacement, il faut une industrie chimique – …mais pas seulement chimique ! Il faut aussi fabriquer les outils nécessaires pour fabriquer les médicaments… et ainsi de suite – qui soit florissante. Et donc un appareil industriel conséquent afin que l’industrie pharmaceutique puisse se développer. La recherche médicale a grand besoin d’appareils sophistiqués construits avec des matériaux et des technologies appropriées. Une médecine de pointe ne peut s’entendre qu’avec une industrialisation …de pointe ! Que pourrait-on diagnostiquer sans radiographie, scanner, IRM, etc ? La fine fleur de l’innovation technologique en renouvellement permanent.

Or, « une fraction toujours plus importante de la population se rend compte que la dynamique de développement initiée par la révolution industrielle est devenue mortifère et conduit à la catastrophe, d’un point de vue écologique par dévastation de la nature, d’un point de vue anthropologique par dévastation des cultures humaines. » (1) En conséquence, pour s’opposer à ce sentiment de plus en plus présent les pouvoirs en place doivent justifier la fuite en avant par quelque chose d’extrêmement fort qui reçoit un assentiment général ; et ce sont précisément les progrès de la médecine qui sont invoqués régulièrement !

De la même façon, mais à l’opposé, l’argument le plus susceptible d’être entendu pour disqualifier une innovation technologique est l’impact négatif qu’elle pourrait avoir sur la santé des gens. La survie semble ainsi être le souci quasi unique des humains aujourd’hui (2). Par exemple, peu de gens se posent la question de savoir si le « progrès » et l’ « idéologie du progrès » comportent un risque pour la liberté. Voilà un problème qui, pour une majorité, n’est que de peu de poids. Alors que parler de l’impact néfaste sur la santé attire beaucoup plus l’attention. Il suffit de constater la réaction très faible des populations européennes vis à vis des mesures prises par les gouvernements contre l’épidémie de covid. Port du masque, confinement, passeport sanitaire et obligation vaccinale, toutes ces mesures contraignantes pour juguler une épidémie qui n’est pourtant pas la peste.

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Ce que l’on peut remarquer aujourd’hui avec la 5G, que certains critiquent et d’autres défendent, c’est que cet affrontement entre les ‘pour’ et les ‘contre’ est identique à ceux qui ont eu lieu lors de l’avènement des OGM, des nanotechnologies, des gaz de schistes, etc. À chaque fois, il y a d’un côté les défenseurs des ‘innovations’ qualifiées de progrès ( parfois décisifs, selon les thuriféraires ! ) par le pouvoir en place et, de l’autre, les opposants dont on dit qu’ils sont des passéistes incapables de regarder vers l’avenir. Le parti pris du « progrès » par le pouvoir (économique d’abord mais ensuite aussi politique) n’est pas systématique, ce qui laisse supposer que ces gens-là analysent les innovations technologiques (selon leurs propres critères !) en amont avant de prendre parti. Analyse qu’ils dénient au commun des mortels quand eux ont estimé les nouvelles technologies comme acceptables ou souhaitables. Quand l’opposition est trop virulente ils finissent parfois par renoncer – cf OGM en 2000, gaz de schistes en 2012 – et quand l’opposition est par trop faiblarde ils laissent passer l’orage – cf les nanotechnologies en 2009 – et parviennent à leurs fins après usure des opposants.

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Comme nous l’avons déjà évoqué au dessus la conscience de la destruction de l’homme – …le transhumanisme guette ! – et de la nature progresse dans toutes les couches de la société. Et les progressistes (partisans inconditionnels du « progrès ») affrontent les passéistes, immobilistes, réactionnaires, etc qui s’opposent à l’innovation en arguant de cette destruction. Qu’il s’agisse de la biodiversité qui se rétrécit de jour en jour, des forêts primaires qui disparaissent, des océans saturés de plastiques ou du climat qui se détériore on en vient vite à la conscience d’une nécessaire remise en cause du système industriel qui nous a conduit à cette impasse : la Terre risque fort de ne plus être habitable par les humains dans un avenir pas si lointain. Le technocapitalisme ne détruira pas forcément la planète mais la rendra sans doute inhabitable par les humains.

D’où la nécessité de rejeter – tant qu’il est temps – les innovations qu’on nous assène comme indispensables mais qui, pour sûr, accéléreront ce mouvement de destruction.

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Le dissensus vis vis de la 5G n’est donc pas une nouveauté. Ce qui l’est, c’est le style macronien inimitable : les opposants sont comme les « amish », clame le président au sommet de son art. La comparaison n’est pas innocente. Que font les « amish » – les vrais ! Pas ceux que fantasme Macron – quand une de ces innovations leur est accessible et proposée ? Eh bien, ils discutent de ce que celle-ci leur apporterait, non pas individuellement comme un libéral d’aujourd’hui voyant toute la réalité à travers le prisme de son intérêt individuel, mais en tant que groupe ayant une idée de la vie bonne autour de principes partagés (3). Et, en fonction de cela, ils ont décidé de ne pas se brancher à l’électricité mais d’accepter l’éclairage au gaz. Et donc voilà ce qui paraît déraisonnable – étrangement ! – au président. Car lui ne jurera que par le progrès – bon en soi, indiscutablement ! – scrutant la technologie nouvelle qui va accélérer bien sûr la production de bénéfices (pour certains) ; l’intérêt économique prime tout le reste parce que voilà LA valeur fondamentale dans notre monde. Dont Macron est l’ardent supporteur.

Une vision dans laquelle tous les intérêts égoïstes peuvent se reconnaître. Rappelons que, depuis le XIX°s, on sait que le but de l’économie n’est pas, comme le disent mielleusement les économistes et les publicitaires de toute sorte, de satisfaire des besoins mais bien de… « faire de l’argent ». On ne se faisait guère d’illusions jadis quand de l’appât du gain on disait qu’il s’agissait de « vices privés » (4). On voyait avant l’ère capitaliste l’intérêt égoïste comme destructeur de la société. Le monde a radicalement changé sous la houlette d’une bourgeoisie qui s’est adjoint les services d’une technocratie toujours plus performante et incontournable. La conséquence, c’est que sous l’influence de ces initiatives privées le monde n’a cessé depuis le début du XIX° s. d’être chamboulé par ces innovateurs avides de gain qu’aucune morale commune ne retient plus. L’économie avec son corollaire : faire du bénéfice, est devenue la valeur suprême. Les individus sont censés être mus seulement par leurs appétits individuels. Ni la religion ni la tradition ni les mœurs ni même aujourd’hui le simple bon sens, rien ne devrait s’opposer à leur soif de profit et de domination. Nihilisme de l’idéologie libérale. L’impact est donc important sur le monde – qui évolue constamment pour trouver de nouvelles sources de profit.

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La nature en est bouleversée et ne parvient plus à se régénérer comme elle le faisait précédemment ; ainsi les humains perdent leurs repères traditionnels. Tout y passe …même la différence sexuelle est remise en cause (5). Les processus économiques fonctionnent comme une révolution permanente (l’idée a été développée par Marx). Révolution qui abîme la nature et les humains.

Si nous vivons plus longtemps grâce à la technologie médicale nous avons aussi plus de cancers et nous avons plus souvent les dites comorbidités (obésité, hypertension, diabète, etc) conséquences fréquentes de notre mode de vie trop sédentaire. Les corps n’ont pas la capacité de se protéger dans le nouvel environnement plus toxique. C’est aussi le coté ‘obscur’ des technologies modernes dont on découvre à quel point elles sont mortifères. Et pourtant, elles sont censées nous apporter la sécurité, le bien-être ! Parfois les technologies médicales ne font que soigner les maladies que les autres technologies …industrielles induisent (amiante, médicaments,… ).

On peut dire que l’idéologie du « progrès » (le progressisme) est ce qui permet de poursuivre le développement des diverses technologies et pérennisera le monde dans lequel nous vivons. Faisant ainsi démesurément gonfler les problèmes qui s’accumulent et deviennent oppressants.

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Toutes les innovations de ce monde capitaliste sont apparues sans qu’il y ait le moindre consensus démocratique sur leur mise en œuvre. Bien évidemment. Voilà un secret très « public ». Tout le monde le sait mais obscurci par la propagande progressiste la conscience de cette obligation au progrès imposé en est enfouie, voilée, enterrée. L’automobile, pour ne parler que de cette machine dont tout le monde ou presque possède un exemplaire, a été de plus en plus acceptée comme un moyen de transport universel autour duquel l’urbanisme des métropoles s’est construit tel qu’on le voit aujourd’hui. Le processus d’expansion de l’automobile a été géré par les politiciens et les technocrates afin que notre monde soit celui de la voiture. La marque même d’un pays sous développé étant de ne pas avoir de bonnes routes permettant une circulation automobile incessante. Et on est considéré comme chanceux d’avoir du boulot à quelques kilomètres parce que – en voiture, bien sûr ! – on ne met que quelques minutes pour y aller.

Le monde humain est fait à l’image de l’automobile ! Il serait probablement plus juste de dire que les humains se sont adaptés à ce mode de transport …Plutôt que de dire que l’automobile a répondu aux besoins des humains.

(1) Olivier REY _ l’idolâtrie de la vie (2020).

(2) Il n’en a pas toujours été ainsi. On est loin des valeurs des classes aristocratiques qui ont construit un idéal de la guerre le risque de mourir est constitutif de leur mode de vie. De même les premiers chrétiens affrontaient la mort et les supplices les plus dégoûtants avec une distance étonnante pour nous autres modernes. L’honneur ou la foi plus forts que la mort. Ces idéaux ne sont pas érigés ici comme des exemples à suivre ; ils indiquent seulement à quel point certaines civilisations, dans certaines religions on a pu se détacher de l’angoisse de la mort qui est aujourd’hui si obsédante.

(3) Il paraît beaucoup plus difficile certes à un monde comme le nôtre de produire des discussions vu les millions de personnes qui devraient se concerter et la divergence foisonnante d’avis contradictoires sur la vie digne d’être vécue. C’est un problème majeur : il n’y a plus de bonne vie unanimement ou même majoritairement reconnue comme telle et, plus ça va, plus les divergences s’accentuent au plus grand bonheur des employeurs et des marchands.

(4) « Les vices privés font la vertu publique ». tiré de La fable des abeilles de Bernard Mandeville (1714) qui fut un des premiers écrits à valoriser la cupidité et l’intérêt individuel au détriment de l’intérêt collectif. Tout en indiquant que tous ces intérêts contradictoires conduisaient en fait à un bénéfice pour l’ensemble de la société. Il sera suivi par les économistes dont le plus marquant fut Adam Smith qui pensa à une « main invisible » orchestrant tous ces intérêts dissonants et conduisant au Bien commun.

(5) La théorie du genre a pris naissance dans les milieux universitaires américains. Reprise à des fins militantes par la majorité de l’extrême gauche, elle essaime jusque dans la gauche dite de gouvernement et même bien sûr dans la macronie !