« On entend beaucoup parler de cette …solution [la transition énergétique et l’utilisation d’énergies renouvelables]. Mais une solution à quoi ? Nous pouvons voir d’un bon œil l’utilisation des énergies qui, en étant renouvelables – en principe ! – ‘nous’ préservent de l’épuisement des énergies fossiles. Il faudrait toutefois pour analyser la situation actuelle, et avant de formuler des revendications, partir non pas seulement de la folie d’une société qui s’est aventurée jusqu’à l’épuisement des ressources indispensables à sa survie (folie bien réelle) mais plutôt de sa logique vitale. Ceci semble être un indispensable pas de côté par rapport à bien des analyses qui se contentent de dénoncer le gaspillage sans vouloir en dénoncer l’origine. Du moins sans aller jusqu’au bout. A vouloir dénoncer […les éoliennes industrielles] sans jamais dénoncer le monde qui organise tout ça. » 1

Le soleil n’était pas trop fort cette après midi du 19 juillet 2017 bien que la chaleur fût tout de même au rendez vous. Une foule dense d’une petite vingtaine de personnes s’était donnée rendez vous pour rencontrer Mme Carole Delga, présidente du Conseil Régional, afin de protester contre les éoliennes (industrielles) qui devraient fleurir un peu partout dans la région de Cuxac d’Aude, à l’ouest, jusqu’à Sauvian dans l’Hérault vers l’est. Un territoire que certains nomment ‘basse vallée de l’Aude’.

La dame attendue fut précédée de sa vice présidente pour la transition énergétique qui arriva dans sa jolie voiture de fonction et s’entretint dans la rue, devant l’entrée du siège de EDF – EN (EN = énergies nouvelles ; pas mal, non ? 1) avec certains des protestataires. Comme dans tout attroupement de ce genre les opinions de chaque participant varient autant que la couleur des cheveux  ( couleur plutôt blanche quand même ) ; il y avait celui qui s’opposait aux éoliennes car …le nucléaire, ça pourrait être mieux – des solutions techniques existent, selon lui, pour résoudre les problèmes posés par celui-ci ! – à celle qui souhaite une sincère (bien sûr) concertation citoyenne avec les zélus. Du Conseil Régional en l’occurrence. Pour ma part, j’avais reçu l’avis de cette ‘action’, je n’étais certes pas emballé par le discours collaborationniste des organisateurs mais je suis venu pour écouter et jauger des motivations des uns et des autres.

Mme Delga, présidente en exercice, arriva en retard et a déroulé son discours. Dans sa jolie robe estivale (quelle chance les femmes ont de pouvoir s’habiller avec fantaisie pendant leur fonction ! alors que tous les hommes d’EDF EN qui surgirent un à un de l’intérieur de leur sombre lieu de travail étaient étranglés par leur cravate et engoncés dans leurs mornes costards). On ne va pas retranscrire au mot près les échanges, vu que peu de choses ont été dites quoique maintes fois répétées. On s’en tient donc à la substance.

La demande de Michèle S., protestataire en chef, peut se résumer ainsi : ‘nous’ (entendre : elle) voulons participer – comme il avait été plus ou moins décidé dans une précédente rencontre entre elle et le C.R. – au processus de débat citoyen des commissions, hum… transition énergétique. Dans le reste de la discussion, il y a eu, évidement, des désaccords comme…

« Le département va, au rythme où nous en sommes, être recouvert de 3000 éoliennes », dixit S.

« C’est faux », répond Delga.

« C’est une façon de parler, vous ne faites rien pour ralentir le flot des installations ! » Dit S.

« On ne peut pas, c’est la loi », dit Delga.

Etc.

Venons-en à l’essentiel : la protestataire en chef voudrait que le Conseil Régional accepte sa présence dans la commission ad hoc où elle apporterait une expertise citoyenne. La zélue accepte (bien sûr), en bonne démocrate qu’elle est ; elle dit que les options du Conseil Régional ont été élaborées et les décisions sont prises. Le cadre est donc déjà là. Ce n’est pas grave car Michèle S. se dit d’accord à 80 % avec celui-ci. Les options votées n’ont cependant pas vocation à être imposées, dit Mme la présidente Delga. Il faudra informer les zélus locaux : les maires d’abord, mais aussi – ne les oublions pas ! – les citoyens. C’est pas démocratique, ça ? On cherche vainement, à l’heure qu’il est, les informations qui ont été distribuées aux citoyens par le C.R. dans les villages de Sauvian, Vendres, Lespignan, Nisssan, etc. Mais l’oracle a parlé… : « [La région] pilotera jusqu’en juin six groupes de travail, composés de 80 experts qui étudient des trajectoires, des scénarios, pour détailler des objectifs par secteurs et par filières. De juin à novembre […2017 ?], la Région impliquera les citoyens et les territoires dans un « grand débat » sur la transition énergétique. » Des experts, on en a vus passer quelques uns à EDF EN, il n’en manque pas ; mais de grands débats avec les citoyens, …point ! 2

La protestataire en chef ne s’accorde pas sur tout avec la présidente, avons-nous dit – c’est son rôle après tout, puisqu’elle est là pour protester… – elle a déclaré qu’elle est bien d’accord à 80 % avec les décisions du CR sur la transition énergétique certes : un zeste de sobriété et beaucoup d’énergies renouvelables. Imaginez-vous que l’objectif de la région – proprement révolutionnaire ! – est d’être ‘à énergie positive’ avant 2050, s’extasie C. Delga. Y a-t-il de quoi être épaté ? On pourrait penser que l’Arabie saoudite, ce pays admirable pour sa politique énergétique est  ‘à énergie positive’ depuis bien longtemps ! mais non, erreur : énergie positive signifie que l’énergie consommée est d’origine renouvelable seulement. Attendons-nous notamment à avoir un paysage terrestre parsemé d’éoliennes industrielles et le littoral hérissé d’éoliennes ‘flottantes’  … 2

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Bon, il reste que Mme S. est mécontente de n’avoir pas été invitée à la dernière réunion. N’oublions pas l’essentiel…

Finalement, tout le monde étant (presque) d’accord – sur 80 % de ce qu’a décidé le CR, elle est d’accord, il ne reste que 20 % à discuter –  et d’ici la prochaine réunion à laquelle – promis, juré ! – le C.R. l’invitera, les protestataires pourront aiguiser leurs arguments dont – promis, juré ! là aussi – ‘on’ tiendra compte. Quand, à l’issue de ces concertations citoyennes, une décision sera prise d’implanter des éoliennes à tel endroit et que quelques proches ou lointains habitants trouveront ça insupportable, que fera Mme S. ? Défendra-t-elle la décision à laquelle elle aura contribué ? Ou bien trahira-t-elle les zélus ‘très citoyens’ qui lui auront ouvert les portes du CR ? Difficile d’avoir le cul entre deux chaises …

A bien considérer toutes ces galipettes verbales, on peut conclure que ces protestataires-là – ceux qui croient à cette concertation avec le Conseil Régional, donc pas tous tout de même – pensent être dans un monde presque parfait*. Tout y va presque bien (80%). Il ne leur reste qu’à se battre pour obtenir les petits arrangements et les ultimes mises en place auxquels ils aspirent, c’est Delga qui le dit, en espérant que la bonne volonté qu’a le pouvoir de les accepter demeurera pour y parvenir. Les protestataires s’impliqueront avec force bien sûr. Pour appliquer les directives. Car les idées du pouvoir sont bonnes, c’est pour les appliquer qu’il leur faudrait plus de participation du public. Pour que le monde soit plus démocratique, il faut mettre un peu d’huile dans les rouages …et tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Depuis les Commissions Nationales pour les nanotechnologies (les dernières Commissions Nationales de Débats Publics en date …qui ont mal tourné 3), finalement, rien n’a changé. Le discours du pouvoir est toujours le même. Les zélus, les technocrates ou les décideurs de l’État et les entrepreneurs ou financeurs de projet sont la main dans la main pour nous concocter un monde à leur (dé)mesure. Tout est décidé d’avance, tout est même en train de se faire. Par exemple, en matière d’installation d’éoliennes, comme certains peuvent l’attester sans problème (le béton est déjà coulé à Cuxac d’Aude). Mais les illusionnistes zélus sont à l’œuvre et certains citoyens peuvent se satisfaire en …participant ! Participer à la mise en place de la démocratie, de la transition énergétique et, pourquoi pas ? de la croissance verte. Vrai de vrai, il y avait même des partisans de la croissance verte parmi les protestataires ! Parmi la vingtaine de présents on n’a donc pas vu beaucoup de protestations contre cette façon dérisoire de poser les problèmes liés aux éoliennes industrielles.

Le fait qu’une éolienne ne soit faisable qu’à coup de millions d’euros par une troupe d’ingénieurs et par des sociétés plus anonymes les unes que les autres ne choquent pas grand monde. Qu’on ait besoin de matériaux bizarres qu’on va chercher au bout du monde en détruisant les territoires et de techniques que seules quelques multinationales peuvent mettre au point, non plus. Le fait que cette électricité produite sera insérée dans un réseau immense et non pas consommée localement, non plus (énergie positive ? disiez-vous…). Le fait qu’on n’ait aucune prise : ni sur la construction, ni la mise en fonction, ni le fonctionnement, ni l’arrêt ni la destruction des sites d’éoliennes hors d’usage n’émeut que très peu. On verrait bien, d’ailleurs, Mme S. expliquer tout ce que je viens d’énumérer aux avides ‘innovateurs’ et aux savants experts du CR. Ce serait la camisole de force assurée. Car il y a pour ces gens-là des choses qui ne se discutent pas ! la société industrielle est là. C’est comme la pluie et le beau temps, il faut faire avec. Comme on ne peut arrêter le vent, on ne peut arrêter le progrès. En somme, la société industrielle qui nous rend incapable d’assurer de plus en plus notre simple survie si on ne la confie pas aux pontes de l’industrie, cette société industrielle qui nous conduit à la catastrophe reste, selon certains protestataires, la seule et unique voie de salut. Sauf, il est vrai, que certains citoyens protestataires aimeraient bien gérer le désastre d’un peu plus près.

Les technocrates savent bien ce qu’ils font en laissant les citoyennistes sur la touche mais aussi en les appâtant constamment. Le leurre de la participation n’est pas encore apparu à leurs yeux désespérément clos. Les ouvriront-ils un jour ?

 « Les ressources s’épuisent, la Terre agonise, le système financier est près de s’écrouler, l’humanité désespère, mais la civilisation techno-industrielle persiste dans son emballement, faisant fi de toute limite morale autant que naturelle, s’arrogeant un contrôle total sur tous les aspects de la vie… »

1 http://faut-le-dire.over-blog.com/pages/energies_renouvelables_transition_energetique-8586629.html

2 https://www.laregion.fr/La-Region-a-energie-positive-un-cap-des-trajectoires-et-un-plan

http://faut-le-dire.over-blog.com/pages/une_manipulation_de_plus_les_debats_sur_les_nanotechnologies-8646735.html